Sepinwall, Alyssa Goldstein. The Abbé Grégoire and the French Revolution: The Making of Moder Universalism. Berkeley: California University Press, 2005.
Ce livre je l’ai lu en 2011. Les fiches que j’ai en fait attendait là, le temps de pouvoir être travaillées. Il s’agit d’une de dernières biographies sur l’abbé Grégoire, figure et symbole de la Révolution Française.
En reprenant les réflexions de Roger Chartier, Sepinwall nous met en garde sur la vision idéalisée des rapports entre les Lumières et la Révolution Française. On a beau chercher et trouver les origines du mouvement révolutionnaire dans la pensée des philosophes, sans trop faire la critique de cette conception. Cependant, il y a eu d’autres acteurs, intellectuels ou non, que n’ont forcément pas un lien direct, voire sont complètement opposés aux Lumières. Tels sont les cas, à divers degrés, de la maçonnerie, du jansénisme, du richerisme, et des intellectuels juifs. Ainsi, Sepinwall propose que « ce ne sont pas les Lumières qui ont créé la Révolution, mais la Révolution qui a créé les Lumières » (p. 11).
Je ne ferais pas ici le résumé de la vie de l’abbé. L’exposé de Sepinwall est chronologique et, de ce point de vue, il est très claire. On parcourt la vie depuis les origines et les premières influences intellectuelles du jeune Grégoire, jusqu’à son activité comme législateur et auteur sous le régime napoléonien. On ne peut, par contre, ne pas signaler la ferme volonté de Grégoire pour essayer d’harmoniser les idéaux révolutionnaires et la foi chrétienne : il a été parmi les premiers prêtres à faire le serment constitutionnel, et il a été entre ceux qui ont refusé de renier de la foi chrétienne ou d’abandonner les habits ecclésiastiques. Une des innovations de cette ouvrage, comme le signale Bernard Gainot dans sa critique, c’est son exposé sur les liens de Grégoire avec des penseurs d’Amérique Latine, en particulier avec Fray Servando Teresa de Mier, « théoricien en chef de l’insurgence mexicaine », et des Etats-Unis (la trosième partie, intitulée « Keeping the Faith: Grégoire, Regeneration, and the Revolution’s Global Legacy, 1801-1831 », pp. 159-215).
Ce qui m’intéresse de cette biographie est le travail autour de la notion de « régénération », que nous pouvons affirmer, c’est l’axe du livre. Au XVIIIe siècle, le mot avait deux sens : un médical, qui faisait référence aux soins dispensés aux blessures, et un théologique, qui faisait référence au baptême ou à la résurrection (p. 57). Quoique dans l’Encyclopédie le mot régénération est définie dans le sens théologique, d’Alembert l’emploi dans le Discours Préliminaire dans un sens intellectuel et séculaire. Pour parler des idées et de la génération de la connaissance, d’Alembert oppose l’ignorance et la régénération. Le mot s’est répandu et aux Etats-Généraux, Louis XVI a été proclamé comme « le grand régénérateur de la France » (p. 58)
À différence d’autres philosophes, Grégoire croyait en la possibilité d’instruire le peuple, la « canaille » (p. 41). Il s’agit de mettre en oeuvre l’idéal de régénération, par le moyen de l’instruction publique. C’est pour cette raison que l’abbé entreprend la tâche d’éradiquer le patois. Grégoire faisait partie de la Société des Philanthropes de Strasbourg. Cette société a été créée autour de 1770. Elle était dédiée à l’observation et à l’étude de la société (p. 28-29). C’est là qu’il a fait connaissance de Jérémie-Jacques Oberlin, qui très probablement l’influence dans son idée d’instruction publique généralisée. D’ailleurs, en 1775, Oberlin avait écrit un Essai sur le patois lorrain, où il affirme que le lorrain est plutôt une corruption du français, qui n’avais pas besoin d’être modernisé ou, dans d’autres mots, qui avait besoin d’être éradiqué.
L’idée de l’éradication du patois serait, pour Grégoire, le premier pas pour réussir à l’instruction du peuple, de la « canaille » (p. 41), idée à laquelle il était attaché (p. 38). Sepinwall souligne l’importance des écrits de Grégoire sur les juifs. En 1787, Grégoire avait participé dans un concours de la Société royale des sciences et des arts de Metz, sur la question Est-il des moyens de rendre les Juifs plus utiles et plus heureux en France ?. Ce travail est basé sur la notion de « régénération », que deviendra, quelques années plus tard, l’un des concepts les plus importants du mouvement révolutionnaire.
Le vocabulaire « universaliste » de la Révolution française est issu, d’après Sepinwall, des choix pragmatiques. Les spécialistes les plus anciens voient dans ce vocabulaire un choix conscient, tandis que les nouveaux études à ce sujet montrent un choix rétrospectif. Ce choix pragmatique, a diverses raisons : le désire de détruire le système de privilèges qui refusait au Tiers Etat les privilèges que le Premier et le Second en avaient, et en deuxième place, le désire de substituer la souveraineté monarchique pour la populaire. Pour Grégoire, l’universalisme ne concenrait juste une inclusion politique de tous les individus, mais aussi une fusion culturelle.
Un autre aspect qui m’intéresse particulièrement de l’abbé Grégoire est, bien sûr, ses écrits sur le vandalisme, mais malheureusement pour mois, ils ne sont pas l’objet d’un étude approfondi par Sepinwall. Grégoire inventa le terme. Sepinwall affirme que l’idée de vandalisme dans la pensée de Grégoire est dérivée de sa conception de l’histoire et comment elle faisait partie du procès de la Révolution française.Grégoire, comme d’autres révolutionnaires, voyait dans l’histoire une référence pour la France, une sorte de paternité qui permettait légitimer le nouveau régime. Cependant, même si le passé était vu comme une référence de la plus grande importance, il n’était pas vinculante. Grégoire considérait l’histoire comme un registre des progrès de l’humanité, un registre qui devait être préservé et examiné pour garantir le progrès futur. Cette vision lui permettait dénoncer les destructions des monuments historiques, de ce qu’aujourd’hui nous appelons le « patrimoine culturel français » (p. 138).
Quelques écrits de Grégoire sur l’importance de l’instruction publique :
- Rapport sur la nécessité & les moyens d’anéantir le patois, & d’universaliser l’usage de la langue française, séance du 16 prairial an II [4 juin 1794] à la Convention Nationale, Paris, Imprimerie nationale, 1794
- Discours sur l’éducation commune, séance du 30 juillet 1793 à la Convention Nationale, Paris, Imprimerie nationale, 1793
- Rapport sur l’ouverture d’un concours pour les livres élémentaires de la première éducation, séance du 3 pluviôse an II [22 janvier 1794] à la Convention Nationale, Paris, Imprimerie Nationale, 1794
- Nouveaux développemens [sic] sur l’amélioration de l’agriculture, par l’établissement de maisons d’économie rurale… , séance du 16 brumaire an II [26 octobre 1793] à la Conventiona Nationale, Paris, Imprimerie Nationale, 1793
D’autres ouvrages qui peuvent servir à la lecture de Sepinwall :
- OZOUF, Mona, « La Révolution française et la formation de l’homme nouveau », in L’homme régénéré : Essais sur la Révolution française, Paris, Editions Gallimard, 1989
- BAECQUE, Antoine de, « L’homme nouveau est arrivé: La ‘régénération’ du français en 1789 », Dix-huitième siècle, n° 20, 1988, 193-208
- BELL, David A.l, Cult of the Nation in France. Inventing Nationalism, 1680-1800, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2001