Trésor et collection

Pierre Alain Mariaux, « Trésor et collection. Le sort des “curiosités naturelles” dans les trésors d’église autour de 1200 ». In Le trésor au Moyen Âge. Questions et perspectives de recherche. Der Schatz im Mittelalter. Fragestellungen und Forschungsperspektiven, 27‑54. L’Atelier de Thesis 1. Neufchâtel: Institut d’Histoire de l’art et de Muséoloie, 2005.

Mariaux constate le manque de vrais études sur les trésors. Mis à part les études par Krzysztof Pomian, il constate que le peux d’études à ce sujet ne proposent pas du vrai analyse (p. 27). L’étude des trésors dans une histoire des collections est justifié depuis le point de vue économique assumé par Pomian : malgré les différences entre trésor et collection annalysées par Mariaux, les trésors aussi sont des objets « qui échappent au circuit des échanges économiques ou des activités utilitaires et qui sont soumis à un ensemble de règles définies pour être exposés dans des lieux particuliers (p. 28) ».

[Clôture du trésor. Eglise Saint-Jacques à Dieppe] : [dessin] / [François-Gabriel-Théodore Basset de Jolimont] Auteur : Jolimont, Théodore de (1788-1854). Dessinateur Date d'édition : 18..

Clôture du trésor de l’Église Saint-Jacques à Dieppe, [dessin] attribué à François-Gabriel-Théodore Basset de Jolimont (1788-1854). Source : BnF

Selon lui, à part les trésors, on ne peut pas parler de collections au Moyen Âge. Si la collection selon Pomian est définie comme « la réunion d’objets choisis — pour leur beauté, leur rareté, leur caractère curieux, leur valeur documentaire ou leur prix » (p. 27), il y a, au Moyen Âge, des collections sans collectionneur, c’est-à-dire, des collections produits par des institutions, telle l’église ou les monarchies. Le sujet est capable de faire des choix conscientes, à différence des institutions (p. 29)

Les collections médiévales sont les trésors, qui diffèrent en ce qu’il n’y a pas un vrai choix dans sa constitution : ils sont « des accumulations d’objets dont la valeur consiste précisément dans leur masse indistincte » (p. 28). Les critères d’organisation et de rassemblement sont floues et n’obéissent qu’ à des conditionnements variables. Il y a, donc, une accumulation qui prévalait sur tout arrangement ou classement.

À partir du XIIe siècle on assiste à une réorganisation des trésors peut-être, suppose Mariaux, avec l’objectif de mettre en scène ces objets (p. 29). L’importance de la collection médiévale dans mon travail, qu’il s’agit d’un trésor ecclesial ou d’un trésor princier, ce qu’elle croisse plusieurs activités et expressions « dont le but est de tracer des relations multiples avec le passé, avec la mémoire collective de la communauté possédante, et surtoout avec l’invisible » (p. 29). Mariaux signale trois relations en particulier :

  • réunion ‘frénétique’ d’objets miraculeux : reliques e aussi curiosités naturelles ;
  • remploi des objets, tout en provoquant le ‘dépaysement’ des objets : ivoires, pierres antiques ;
  • usage des spolia dans la construction de la mémoire

David Murray et Julius von Schlosser occupent une place importante dans l’histoire des collections. On a déjà évoqué ailleurs leur contribution à l’histoire de l’art. Selon Mariaux, ils sont les premiers à avoir reconnu dans les les trésors d’église « les premières traces de la collection d’art et de merveilles, puisqu’on y trouvait rassemblées les œuvres de la nature et celles de l’art » (p. 30).

Memorabilia et Mirabilia Romae. Forum Romanum a Bunsenio, Quastio, Prellero et A. Restitutum annotavit E. de Muralto Auteur : Muralt, E. de (18..-18..?). Auteur du texte Éditeur : [s.n.] (Petropoli) Date d'édition : 1870

Memorabilia et Mirabilia Romae. Forum Romanum a Bunsenio, par E. de Muralto, Petropoli, 1870

Dans les inventaires des trésors se trouvent mentionnées les curiosités qualifiées comme ‘naturelles’: oeufs d’autruche, nautiles, défenses d’ivioiree, cornes d’antilopu ou de licorne, pierres de feu, météorites, serres de griffon, ossements igantesques, etc. Parfois leur fonction et précisée et plus rarement leur fonction liturgique (p. 31). On suppose, d’après les études de Von Schlosser et Murray, que certains de ces mirabilia occupaient une place d’importance dans les églises, tout en haut des bâtiments et bien en vue. C’est la même position où il seront placés dans les musées encyclopédiques de la Renaissance et dans les Wunderkammer (p. 32).

Ainsi, pour ces auteurs l’activité de collectionner se serait développe historiquement à travers les dépôts funéraires, les trésors des temples, les accumulations, les trésors d’église, les Wunderkammern, et les musées. Cependant, Mariaux remarque qu’il n’est pas possible d’établire une lignée directe entre toutes ces formes, car les formes de collectionner, choisir et organiser on profondément changé depuis le Moyen Âge. Si la collection retire les objets du circuit d’échanges à partir de l’époque barroque, au Moyen Âge les objets conservent et leur valeur d’échange et leur valeur d’usage (p. 32-33).

[Illustrations de Histoire naturelle et morale des Iles Antilles de l'Amérique, enrichie de plusieurs belles figures des raretés les plus considérables qui y sont décrites] / [Non identifié] ; César de Rochefort, Raymond Breton, aut. du texte Auteur : Rochefort, Charles de (1605-1683). Auteur du texte Auteur : Breton, Raymond (1609-1679). Auteur du texte Éditeur : A. Leers (Roterdam (sic)) Date d'édition : 1658

Illustrations de Histoire naturelle et morale des Iles Antilles de l’Amérique, enrichie de plusieurs belles figures des raretés les plus considérables qui y sont décrites par César de Rochefort, Raymond Breton, A. Leers, Rotterdam, 1658. Source : BnF

Une différence mise en relief par Mariaux, c’est la subjectivité de la collection médiévale. La construction d’une référence au passé à travers les objets, passe par la construction de la mémoire collective. Ainsi, les collections médiévales, s’il y en a, consistent en le replacement des objets au centre d’un mythe et d’une histoire collective. Et encore, Mariaux va plus loin, il affirme que la collection d’objets concerne des vraies personnes : les saints, les rois, les héros qui sont représentés — littérairement présentés à nouveau — à travers l’accumulation d’objets.

[Plus tard, dans la systématisation des espaces des cabinets, le lieux communs sont les emplacements où les références ont leur place précise. On conserve une côte de baleine afin d’exhiber un os de la baleine qui avait avalé le prophète Jonas. Mariaux signale qu’après la distinction ontologique entre mirabilia et miracula, les curiosités naturelles, considérées jusques là le témoignange de la création naturelle et la sagesse divine, sont transformées en exempla].

Les trésors d’église sont montrés à certains époques et sous certains conditions : en raison de la solennité d’une circonstance, à des fins de mémoire (remémorer les donateurs passés). Les objets conservés dans les trésors ont aussi une fonction judiciaire, puisqu’ils sont la preuve d’une donation et comme telles, elles sont conservées comme testimonia : en conséquece, affirme Mariaux, « de dépôt, le trésor devient en conséquence un lieu de mémoire » (p. 36).

Leur condition symbolique est la plus remarquable. L’objet du trésor est un signe qui renvoie à l’au-delà, l’en haut. Sa place est entre le visible et l’invisible et symbolise le trésor dont l’homme a besoin dans la vie éternelle (p. 42). Le trésor réuni dans le monde des vivants est, en quelque sorte, converti par des médiateurs du sacré. Après s’avoir convertis en objets curieux, les objets redievendront objets naturels. Pour cela, il faudra poser un regard « desanchanté qui ramene l’objet à sa place ‘naturelle’ dans le monde.

Débat de luxe

Renato Galliani, « Le Débat en France sur le luxe : Voltaire ou Rousseau? », Studies on Voltaire and the Eighteenth Century, Vol. CLXI, Oxford, The Voltaire Foundation, 1976, pp. 205-217

Parmi les multiples débats et discussions qu’on eu lieu tout au long du XVIIIᵉ siècle, celui à propos le luxe, a eu une place assez importante. Fait témoignage le thème décidé en 1769 pour le concours de l’Académie française pour l’année suivante : « Les inconvénients du luxe ». Renato Galliani publia, à ce propos, un court essai intitulé « Le Débat en France sur le luxe : Voltaire ou Rousseau ? »

Galliani fait un approche sommaire mais intéressante sur la question. Il identifie deux groupes de philosophes qui s’inspirent des œuvres de Voltaire ou de Rousseau, et il observe l’existence de deux positions économiques divergentes : une pour la libération de toute activité économique, et autre pour le contrôle du pouvoir économique. Il observe aussi que ce débat a très vite passé à une dimension morale, en particulier chez les auteurs qui critiquent le luxe comme un vice de la société. Par contre, ceux qui sont favorables à son existence, posent la question en termes utilitaristes.

Jean-Jacques Rousseau, Discours qui a remporté le prix a l'academie de Dijon en l'année 1750 . Sur cette question proposée par la même académie : si le rétablissement des sciences & des arts a contribué à épurer les moeurs. Par un citoyen de Genève (Genève, chez Barillot & fils, 1750)

Jean-Jacques Rousseau, Discours qui a remporté le prix a l’academie de Dijon en l’année 1750 . Sur cette question proposée par la même académie : si le rétablissement des sciences & des arts a contribué à épurer les moeurs. Par un citoyen de Genève (Genève, chez Barillot & fils, 1750). Source : BnF

L’origine du débat se trouve, d’après Galliani, dans l’accumulation de capitale qui a été rendue possible grâce au commerce colonial, le fleurissement des manufactures et de la finance. Pour certains auteurs, l’étalage du luxe est la manifestation de l’inégalité et de l’injustice dans la société : ce sont, pour la plupart, des auteurs ‘utopistes’, qui prônent l’idéal égalitaire. Mais il est curieux de constater, comme le fait Galliani, que parmi ces auteurs coïncident aussi ceux qui considèrent que le luxe confonde les rangs de la société et, en conséquence, ils préconisent le maintien des différences sociales (p. 205).

Dans le camp opposé, le luxe est considéré une nécessité. Pour eux, la question est plutôt économique. La production des objets luxueux stimule les arts et les sciences et serait ainsi, un facteur de développement et de soutien matériel des démunis (p. 206).

C’est dans ce point que la question du luxe est rattachée à celle des œuvres d’art. Ces dernières servent aux défenseurs du luxe pour consolider leurs arguments. Cependant, on ne pourra pas dire que Rousseau n’ait pas reconnu l’utilité des arts et des sciences : « La science est très bonne en soi, cela est évident, et il faudrait avoir renoncé au bon sens, pour dire le contraire » (Discours sur les sciences et les arts, p. 36, cité par Galliani, p. 207). La stratégie de Rousseau est plus subtile : le luxe n’est pas l’objectif de sa critique ; il est le prétexte pour dénoncer l’inégalité.

En cela, il faut rappeler que la question de la propriété occupait une place importante dans les débats de l’époque et, il est facile à le voir, est lié à la question qui nous occupe. Bien des bourgeois et de nobles riches défendent la propriété comme une question de droit naturel. Or, Rousseau et d’autres font le constat que nombre de familles se sont ruinées à cause des dépenses somptuaires. Pour eux, il faudra établir des lois somptuaires et soumettre la propriété à l’intérêt commun (p. 208).

" <i>Il y a encore de grands artistes, mais la frivolité, le luxe, les modes font dégénerer les talens, et s'il n'arrive une heureuse revolution, le dieu du goût ne sera plus, comme on le voit ici, qu'un histrion entouré d'un vil cortège</i>" Les Arts sortant du temple du Gout vont faire leur pétition à l'Assemblée nationale, estampe, eau-forte, col. ; 22,5 x 37 cm (élt d'impr.), 1791. Source : BnF
 » Il y a encore de grands artistes, mais la frivolité, le luxe, les modes font dégénerer les talens, et s’il n’arrive une heureuse revolution, le dieu du goût ne sera plus, comme on le voit ici, qu’un histrion entouré d’un vil cortège »
Les Arts sortant du temple du Gout vont faire leur pétition à l’Assemblée nationale, estampe, eau-forte, col. ; 22,5 x 37 cm (élt d’impr.), 1791. Source : BnF

Vous voulez savoir davantage ? Voici quelques pistes :

  • BAAR, Georges-Louis de, Discours sur les inconvéniens du luxe, pièce présentée à l’Académie françoise en 1770 (s.l.: s.é., 1770)
  • BÉLIARD, François, Lettres critiques sur le luxe et les moeurs de ce siècle (Amsterdam, Paris: Mérigot le jeune, 1771
  • BUTEL-DUMONT, Georges-Marie, Théorie du luxe, ou Traité dans lequel on entreprend d’établir que le luxe est un ressort, non seulement utile, mais même indispensablement nécessaire à la prospérité des états (Londres, Paris: J.-F. Bastien, 1771)
  • CLÉMENT, Jean-Marie-Bernard, dit Clément de Dijon, Satire sur les abus du luxe, suivie d’une imitation de Catulle (Genève, Paris: Le Jay, 1770)
  • DE TIMURVAL, M. Dupont, ou les Inconveniens du luxe et les avantages de la frugalité, avec des remarques et suivi de quelques pièces en vers (Amsterdam, Paris: chez Couturier, 1787)
  • LA HARPE, Jean-François de la, »Discours Cinquième. Sur le luxe [1770] », in Œuvres de La Harpe. Accompagnées d’une notice sur sa vie et sur ses ouvrages, vol. III. Poèmes et poésies diverses (Paris: Chez Verdière, 1820), 262-268
  • Lettre sur la « Théorie du luxe » dans laquelle on trouve une critique de cet ouvrage, avec des notes et observations (s.l.: s.é., 1771)
  • RABELLEAU, Voyage d’un prince autour du monde, ou les Effets du luxe (Rouen: E.-V. Machuel, 1772, aussi connue comme Les effets et les inconveniens du luxe
  • ROUSSEAU, Jean-Jacques, Discours des sciences et arts, 1750 (Genève, chez Barillot & fils, 1750)
  • VOLTAIRE, « Observations sur MM. Jean Law, Melon et Dutôt, sur le commerce, le luxe, les monnaies et les impôts [1738] », in Œuvres complètes de Voltaire, t. 29, Politique et Législation, vol. I (Kehl: De l’Imprimerie de la Société littéraire typographique, 1784-1789), 141-160

Trésor de sagesse

Brigitte Roux. « La tour du trésor : clés d’accès ». In Le trésor au Moyen Âge. Discours, pratiques et objets, 89‑101. Micrologus’ Library 32. Florence: Sismel, Edizioni del Galluzzo, 2010.

 

« Si la confusion est mère de l’ignorance et de l’oubli, la séparation éclaire l’intelligence et affermit la mémoire ».

Hugues de Saint-Victor, De tribus maximis circumstantiis gestorum

Dans l’histoire du collectionnisme, une place importante est occupée par les trésors. Depuis un point de vue de l’histoire de l’art, les trésors constituent un type particulier de collection. Ils se sont développés notamment au sein de l’église, mais non exclusivement, tout au long du Moyen Âge et plus tard. Aujourd’hui on en conserve plusieurs exemples, quoique dépourvus de leur sens original.

Brunetto Latini , Livre du Trésor, 1380-1405, Bibliothèque nationale de France, Département des Manuscrits, Français 568, Source

Brunetto Latini , Livre du Trésor, 1380-1405, BnF, Département des Manuscrits, Français 568, Source

Il est donc important de réaliser la critique historique du mot afin de mieux comprendre ce qu’on désignait sous ce nom. Les historiens Lucas Burkart, Philippe Cordez, Pierre Alain Mariaux et Yann Potin ont publié au moins deux collections d’essais, avec des titres presque identiques : Le trésor au Moyen Âge. Questions et perspectives de recherche (2005) et Le trésor au Moyen Âge. Discours, pratiques et objets (2010). Comme on peut le constater par les titres, le deuxième se veut (et effectivement l’est) une continuation et un approfondissement du premier.

Dans ce deuxième volume se trouve l’essai de Brigitte Roux intitulé « La tour du trésor : clés d’accès », où l’historienne suisse analyse quelques exemples d »iconographie et littérature médiévale sur les trésors. Roux commence par signaler deux sens du mot « trésor » (p. 89). Le premier se réfère « au lieu où les objets précieux sont conservés, mais aussi au contenu de ce même lieu, à savoir, l’ensemble des objets précieux qui s’y trouvent conservés » ». Le deuxième est un sens abstrait, qui renvoie aux concepts médiévaux de sagesse et de mémoire et qui sera celui auquel Roux va s’intéresser.

Roux emploie l’œuvre de Brunetto Latini, Le livre du Trésor, écrite entre 1260 et 1266. On y trouve une description de ce qu’un trésor :

Cis livres est apielés Tresors. Car si come li sires ki vuet en petit lieu amasser cose de grandisme vaillance, non pas pour son delit solement, mes pour acroistre son pooir et pour aseurer son estat en guerre et en pais, i met les plus chieres choses et les plus precieus joiaux k’il puet selonc sa bonne entencion (Brunetto Latini, Le livre du trésor).

Roux décèle cinq caractéristiques : le trésor se trouve dans un lieu de taille restreinte ; il se constitue par accumulation ; on y accumule des objets très chers ; le trésor est placé sous la main d’un seigneur ; et il apporte à la fois du plaisir et du pouvoir. Roux cite plusieurs exemples iconographiques de cette représentatio ; une initiale dans un Trésor de 1284, réalisé au nord de la France (BnF, ms. fr., 12581, fol. 90v) ou l’initiale dans une copie en italien du traité de Latini, gardé à la Bibltiohèque Laurenziana de Florence (p. 90).

Brunetto Latini, Li Livres dou Tresor, f. 90v, BnF, Département des manuscrits, Franças, 12581

Latini associe les différents parties de son œuvre à différents matériaux : la partie sur les sciences théoriques à de l’argent comptant ; celle des sciences pratiques à des pierres précieuses, et celle de la logique à de l’or. Roux illustre alors ce système d’équivalences avec deux exemples iconographiques (p. 90) : dans une copie flamande du XVᵉ siècle se trouve une miniature où l’on voit une scène où trois hommes décomptent des deniers, des pierres précieuses et de l’or. Dans cette même copie, les frontispices de chaque partie sont décorés par ces trois figures. Le deuxième exemple est similaire se trouve dans un manuscrit du XIVᵉ siècle, réalisé dans les ateliers des miniaturistes  Jeanne et Richard de Montbaston. Les mêmes équivalences se trouvent dans l’en-tête de chacun des livres : les monnaies pour le livre I, les pierres précieuses pour le livre II et l’or pour le livre III (p. 91).

Brunetto Latini, Livre du Trésor, BnF, Département des Manuscrits, Français 568, f.

Brunetto Latini, Livre du Trésor, BnF, Département des Manuscrits, Français 568, f. 64v.

D’après Roux, ces exemples iconographiques illustrent aussi la technique ‘compilatoire’ de l’encyclopédisme médiévale. Bien qu’on ait tendance à étudier ces images dans ses rapports aux realia gardées dans les trésors, Roux note que les représentations des trésors ayant effectivement existé ne sont pas nombreuses. Ainsi, il est opportun d’étudier les trésors représentés dans ses rapports aux concepts médiévaux de sagesse et de mémoire. En ce qui concerne la sagesse, dans une miniature parisienne (BnF, ms. fr. 568, fol. 64v), on voit un maître et ses élèves réfléchissant entre pierres précieuses et fleurs. Les pierres, on l’a déjà vu, obéissent au thème développé par Latini sur les correspondances entre sciences et valeurs précieux. De leur côté, les fleurs reproduisent le thème médiéval de l’écrivain qui, telle une abeille, « butine diverses fleurs pour en composer un ‘miel délectable' » (p. 93). Le cas de la mémoire se trouve depuis l’Antiquité. Cicéron, dans son De Oratore, et dans le traité anonyme Rhetorica ad Herrenius, utilisent justement l’image du trésor pour se référer à la mémoire.

Les auteurs médiévaux mettent en valeur l’aspect organisationnelle du trésor : malgré leur petite taille, les trésor apparaissent comme des espaces très bien organisés, de la même manière, qu’opère la mnémotechnie en organisant la mémoire. Ainsi, dans ce dernier traité, « la mémoire constitue la partie essentielle du bagage de l’orateur : elle est comme une ‘salle au trésor’, comme un gardien de toutes les parties de la rhétorique » (p. 94). La mémoire apparaît représentée par une image biblique, une tour à deux portes, dont les serrures sont remplacés par un oeil et une oreille. L’oeil et l’oreille sont les organes par lesqueles la mémoire se nourrit. Un des exemples les plus anciens est le Bestiaire d’amour par Richard de Fournival (p. 95-96). Encore un autre exemple, c’est celui du psautier de Robert de Lisle (vers 1310), où se trouve une représentation de la tour de sagesse organisé selon la mnémotechnique médiévale (p. 99)

L’idée d’un rangement dans un petit space est dévelopé, dans la paxis, dans deux oeuvres assez fameuses dans leur tems : le Philobiblon et la Biblionomia. Le Philobiblon, oeuvre du même Richard de Fournival, est une description des manuscripts qu’il avait réuni et dont le projet était de former une bibliothèque publique. Ces deux ouvrages véhiculent le raprochement entre le trésor et la bibliothèque. En situant les trésors près des bibliothèques ou carrement plaçant des livres dans les trésors, la bibliothèque acquiert une signification ambigüe comme celle du trésor. Désormais biblioteca désigne autant le dépôt comme le lieu de conservation des livres (p. 97). On trouve cette disposition à l’abbaye de Saint-Gall et au palais de papes à Avignon (p. 98).