Les papiers de la Chambre

Germain Poirier, Hubert-Pascal Ameilhon, et Anne-Louis-François de Paule Lefèvre d’Ormesson de Noyzeau. “Rapport sur le triage des registres de la ci-devant Chambre des comptes au dépôt du Palais.” Paris, 27 août 1793. CARAN. F17 1036 A, dossier 1, n° 54 et n° 53

La suppression des distinctions de classe a été un de problèmes sur lesquels les gouvernements révolutionnaires se sont penchés très activement. Dans une volonté de démocratisation, la Convention Nationale a décrété la suppression des Registres des Chambres en octobre 1793 et en novembre a eu lieu la vente de ces archives. Elle a chargé la Commission des monuments d’un tri dans les papiers de la Chambre. Les commissaires ont nommé quelques uns de ses membres pour s’attaquer au tri, mais il semble que les commissaires ne sont pas parvenus au but. Dans le « Rapport sur le triage des registres », ils l’expliquent :

la vigueur de la saison, les incommodités du local, et les autres obstacles dont ils ont rendu compte dans le temps les mirent dans l’impossibilité de le continuer, et de satisfaire le désir qu’il avoient de conserver pour la Nation les monuments les plus intéressants pour l’histoire surtout de la Marine, de l’Artillerie et de tout ce qui concerne la milice française à des époques où les historiens même contemporains nous laissent une infinité de choses à désirer (CARAN F17 1036 A, dossier 1, n° 54, f. 1 ft.)

En juin 1793, la Commission des monuments est informée de la vente prochaine des Archives de la Chambre des comptes. Le premier problème auquel les commissaires ont du faire face, est que les archives ont été entassés. Au moins, affirment-ils, les papiers les plus vieux ont été mis ensemble.

Généalogie armoriée de la famille Morelet, vers 1665-1668

Les commissaires ont suivi, dans la mesure du possible, un ordre chronologique : « suivant l’ordre des règnes, et ensuite suivant celui des années de chaque règne ».

Les matières qu’ils ont préservées ont été (n° 54, f. 1 vs. et n° 53 1 ft.) :

  • La trésorerie, finances, épargne, argenterie et menus plaisirs, chambre aux deniers, mobilier, joyaux, tapisseries, garde-robe, Écurie, verrerie, fauconnerie, et maison des Princes et Princesses de la Famille Royale.
  • Les offrandes et aumônes, et chapelle
  • Les Bâtiments des Princes & et les édifices publics
  • Les fêtes, entrées, renouvellements d’alliance.
  • Les Tailles, octrois, subsides et taxes extraordinaires relatives à des événements mémorables, comme pour la rançon du Roi Jean & l’administration de l’État et en particulier celle qui eût lieu sous les Anglais et la Régence du Duc de Belsfort du temps de Charles VII.
  • Les affaires étrangères, les pensions payées aux Princes et Seigneurs étrangers ; le defrai des légats et Princes et notamment celui de l’Empereur Charles Quint à son voyage de France sous François I.
  • Les mines et minières de France, les bois, les grains, les ponts et chaussées, les testaments singuliers, le règlement des bâtiments [texte rayé illisible], un peu de marine qui s’était égaré dans ce dépôt.

Cela représentait 453 registres, qui, chronologiquement, s’étendait de la manière suivante :

  • 1 pour le règne de Philippe le Bel
  • 1 pour Philippe le Long
  • 1 pour Charles le Bel
  • 3 pour Philippe de Valois
  • 8 pour le Roi Jean
  • 18 pour Charles V
  • 86 pour Charles VI
  • 25 pour Charles VII
  • 30 pour Louis XI
  • 24 pour Charles VIII
  • 15 pour Louis XII
  • 38 pour François I
  • 25 pour Henri II
  • 8 pour François II
  • 23 pour Charles IX
  • 22 pour Henri III
  • 18 pour Henri IV
  • 30 pour Louis XIII
  • 56 pour Louis XIV
  • 21 pour Louis XV

Le peuple et les arts

De Bugny, L. P. « De l’influence des Belles-Lettres, des Sciences et des Arts, sur la situation politique des Nations ». Magasin Encyclopédique ou Journal des Sciences, des lettres et des arts, no 4 (1796): 14-29.

Quelques philosophes, parmi lesquels Rousseau, avaient ouvert la polémique sur la nécessité et l’opportunité de développer les sciences et les arts au peuple. Rousseau, en particulier, était souvent cité comme l’opposant le plus distingué. Rousseau avait affirmé dans son célèbre Discours sur les sciences et les arts, que les arts sont le produit du luxe et, en conséquence, du vice.

Jean-Jacques Rousseau

Dans son essai, de Bugny signale une contradiction chez Rousseau, car le genevois affirme aussi que les arts et les sciences ont opéré « une révolution favorable aux mœurs » (p. 14). Cependant, de Bugny ne donne pas une réponse claire au problème. Après avoir rappelé sommairement l’histoire des égyptiens, grecs, romains et chinois, il conclut que les arts et les sciences ont seulement servi à une élite et, de ce point de vue, elles génèrent des différences parmi la société (p. 22 et 24). Il est nécessaire, pour leur épanouissement, un juste milieu :

Dans toutes les parties du monde le despotisme a proscrit les belles-lettres, et cependant elles n’ont jamais subsisté long-temps avec la liberté. J’en dois conclure que le gouvernement modéré est e seul qui leur soit favorable : c’est en effet sous son appui qu’elles ont brillé avec le plus d’éclat (p. 20)

Or, dans un régime démocratique, dans lequel toutes les besoins matériels des citoyens soient satisfaits, il n’y a plus raison de le développer, car les citoyens seront contents des simples mélodies.

Mais ce qui a attiré mon attention c’est une note en bas de la page 16. De Bugny y écrit :

Il semble donc que, parmi eux [les égyptiens], les sciences et les arts y étoient dans la situation qué désiroit Rousseau, étrangers au commun des hommes, il n’étoient qu’entre les mains des sages, et il paroît que loin de produire des effets plus heureux au bonheur des hommes, ils n’ont servi qu’à affermir le despotisme d’une caste particulière. Je m’étonne que cette réflexion ait échappé à ses adversaires.

Les Lumières ont été à l’origine de l’idéal de l’instruction publique, et la Révolution l’a repris vigoureusement, en l’étendant vers les sciences et les arts. À la base de cet idéal, se trouve la publicité que, comme l’explique de Bugny, signifie que les productions artistiques et scientifiques soient à la portée de tous les citoyens.

Vu que ni la liberté ni les régimes autoritaires sont propres aux sciences et arts, de Bugny affirme que leur utilité est seulement d’ordre pragmatique. Si l’inégalité s’accroit, « les belles-lettres amusent les esprits par leurs charmes ». Si l’oisiveté devient dangereuse, « les sciences viennent alors occuper son loisir [de la classe opulente] par leurs utiles difficultés » ; si les pauvres travaillent trop, alors « les sciences encore les allègent par des procédés ingénieux ».

Les femmes révolutionnaires, apéllées aussi les « Tricoteuses »

125 tableaux

« Catalogue des 125 tableaux enlevés de la Surintendance à Versailles, et transportés à Paris au vieux Louvre par ordre de M. Roland, ministre de l’Intérieur le 17 et 18 septembre 1792 ». [Versailles], septembre 1792. CARAN. F17 1059, dossier 16, n° 2.

En septembre 1792, Jean-Marie Roland, alors ministre de l’Intérieur,  avait fait pression sur l’Assemblée Législative afin d’obtenir pour son ministère la responsabilité sur les monuments et les œuvres d’art. Entre le 15 et le 16 septembre, trois décrets sont expédiés : l’un confie la surveillance des monuments au ministre de l’Intérieur ; un autre spécifie la conservation des monuments considérés chefs-d’œuvre, et le dernier précise que le décret précédent est d’application dans tout le territoire français. Une des premières conséquences est le transport de plus de 125 tableaux de la Surintendance de Versailles au Louvre le 17 et le 18 septembre 1792.

Louis-Jacques du Rameau, Catalogue des tableaux du cabinet du Roi placés dans l'Hôtel de la Sur-Intendance à Versailles fait en l'année 1784. Source : INHA

Louis-Jacques du Rameau, Catalogue des tableaux du cabinet du Roi placés dans l’Hôtel de la Sur-Intendance à Versailles, 1784. Source : INHA

Au même temps, David et Lenoir faisaient pression sur le ministre afin de supprimer la Commission des monuments et la Commission du Muséum, créées toutes deux par le ministre, des mois avant. Dans une lettre adressée à David, Roland lui dit :

Ce muséum doit être le développement des grandes richesses que possède la nation en dessins peintures, sculptures et autres monuments de l’art ; ainsi que je le conçois, il doit attirer les étrangers et fixer leur attention, il doit nourrir le goût des beaux-arts, récréer les amateurs et servir d’école aux artistes. Il doit être ouvert à tout le monde et chacun doit pouvoir placer son chevalet devant tel tableau ou telle statue, les dessiner, peindre ou modeler à son gré. Ce monument sera national et il ne sera pas un individu qui n’ait droit d’en jouir.

Pour l’ouverture du Louvre, le ministre a sélectionné les peintres les plus célèbres. Dans le « Catalogue des 125 tableaux enlevés de la Surintendance à Versailles », de septembre 1792, figurent les noms de l’Albane, des Corrège, du Lorrain, Holbein, le Poussin, Raphaël, Rembrandt, ou du Titien.