Ceci est peut-être l’ouvrage le plus connu au Mexique de David Brading. C’est un livre énorme, constant de plus de 600 pages. Il s’agit d’un parcours par presque toute l’historiographie du Mexique et du Pérou depuis la conquête et jusqu’au XIX siècle. Brading avait déjà publié, en 1973, un livre intitulé The Origins of Mexican Nationalism, qui a été très bien accueilli. Même si Brading affirme que l’idée remonte à 1971, The First America n’a pas été publié que 20 ans après, et trois ans après la traduction à l’espagnol a été publiée sous le titre Orbe Indiano. De la monarquía católica a la República criolla, 1492-1867.
Pour commencer, la conquête d’Amérique n’a pas été racontée que par ses acteurs militaires. Des chroniqueurs accompagnaient les armées espagnoles, laissant des récits sur les exploits des conquistadores. Certains sont devenus des classiques de la littérature espagnole. Et encore, ils n’ont pas composé que des œuvres laudatrices, mais il y a eu aussi un grand nombre de critiques, peut-être le plus important Bartolomé de Las Casas. Mais il faut ne pas décontextualiser les discours des uns et des autres, car tel que Brading nous rappelle, la Renaissance et le fanatisme religieux inspiraient les uns et les autres.
Au long de son travail, Brading révise l’historiographie principale, tout en analysant les conditions donnant lieu au nationalisme criollo, le vrai sujet de sa recherche. Depuis cette prémisse, l’historiographie mexicaine et celle sur l’Amérique prennent une autre dimension. Dès premiers rapports par Cortés jusqu’au XVIIᵉ siècle, quand les premières revendications criollas apparaissent, le sujet se reconstruit lentement et en détail.
Dans le premier chapitre, Brading fait un résumé de l’importance de la personnalité de Christophe Colomb pour la découverte de l’Amérique. Malgré le fait que Colomb ait insisté jusqu’à sa mort d’être arrivé en Asie, Brading souligne le fait que c’était sa conviction d’avoir être élu par Dieu pour mener le plan divin afin de récupérer Terre sainte et convertir toute l’humanité au christianisme (p. 13). Dans son exploit coïncident, d’un côté, la redécouverte de la géographie classique, le développement de nouveaux calculs et techniques et, de l’autre, une euphorie chrétienne après la reconquête de Grenade.
Certes, il est significatif que la cour portugaise ait rejeté le projet de Colomb, car très probablement on y avait perçu en lui un fanatique. Isabelle de Castille l’avait elle aussi rejeté la première fois qu’il s’est entretenu avec elle, mais grâce à l’intervention de Ferdinand d’Aragon et les liens de Colomb avec les franciscains Juan Pérez y Juan Marchena, proches à la cour d’Isabelle, elle a accepté à le recevoir à nouveau. Brading signale que si Colomb avait eu seulement le commerce par motivation, il n’aurait certainement pas enduré autant d’années de rejet (p. 13).
Pour mieux comprendre la découverte de l’Amérique, Brading différentie entre les découvreurs et les conquistadores, appartenant à une tradition médiévale, et les chroniqueurs, appartenant à une tradition de la Renaissance. Pour les premiers, son activité consistait en accomplir le plan divin ; pour les seconds, ils se referaient toujours à des modèles de la littérature classique.
De la même manière, on doit retenir que les références culturelles de l’Espagne au moment de la découverte, n’étaient pas les villes italiennes de la Renaissance, mais plutôt Flandre et Bourgogne. Cela lui permet comparer l’histoire d’Espagne à cette époque plus avec L’automne du Moyen Âge, de Johann Huizinga, qu’avec l’œuvre de Burckhardt La civilisation de la Renaissance en Italie. Cela permet aussi de mieux comprendre la signification de la religion et le millénarisme devenu réalité sous le règne de Charles V : ses victoires face aux musulmans du nord de l’Afrique, aux protestants allemands et aux Turques près de Vienne, confirmaient la croyance dans le commencement de la monarchie universelle « telle qu’elle n’était pas vue depuis le temps de Charlemagne ».
Les dernières lignes du chapitre l’expliquent très bien :
« In sum, the combination of technical expertise and mystical conviction, with both forces harnessed to serve commercial expansion and political power, was a characteristic which united Columbus with several of the greatest figures in Western science and technology. There was nothing accidental or fortuitous in the invention of the New World » (p. 24).