La destruction du Paradis

David Anthony Brading. « Chap. 3. The unarmed prophet », The First America. The Spanish Monarchy, Creole Patriots, and the Liberal State 1492-1867. Cambridge: Cambridge University Press, 1991, pp. 59-78

 

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Portrait de Bartolomé de las Casas. Source

Ce chapitre est un commentaire à l’œuvre de fray Bartolomé de las Casas. Las Casas a été, avec certitude, le chroniqueur le plus important des premières années de la colonie espagnole, non seulement par ses écrits, mais aussi par son activité fébrile et à la cour et en Amérique. Il a été le premier en attirer l’attention de la couronne à propos de la destruction des sociétés indigènes et à la convaincre d’envoyer des religieux franciscains et dominicains au Nouveau Monde (p. 63). Brading observe que, étonnamment, las Casas avait prévu dans ses écrits le futur système colonial : séparation des villes d’espagnoles de villes d’indiens, ces derniers gouvernés par des religieux espagnols, travail rémunéré pour les indigènes entre les 25 et les 45 ans, une stricte régulation des rapports entre les espagnols et les indigènes et, surtout, l’inclusion d’esclaves africains afin de substituer les esclaves indigènes (p. 60-61).

Bartolomé de las Casas avait obtenu le financement de la couronne afin d’établir une petite colonie à Cumana, au Vénézuéla. Le projet étant un échec retentissant, las Casas s’en est inspiré pour entrer dans l’ordre dominicain et en 1525 il avait déjà pris les vœux définitifs (p. 61). En 1544, il a été nommé évêque du Chiapas, et il s’est gagné la confiance et la permission des caciques indigènes pour prédiquer la foi chrétienne. Ayant obtenu la protection des autorités indigènes, il a permis l’entrée d’autres colons espagnols. Cependant, les problèmes récurrents avec les espagnols l’ont obligé à se séparer de sa charge et retourner d’abord au Mexique et en suite en Espagne (p. 63).

Brading observe fort bien que difficilement las Casas se serait considéré lui-même un apôtre : malgré les années passées en territoire américain il n’a jamais appris une langue indigène et il ne passait non plus beaucoup du temps à catéchiser les populations indigènes. Las Casas était plus confortable en « prophétisant » à la cour, parmi les fonctionnaires et devant le roi. Son intérêt était dans le sort de l’Espagne et celle des espagnols lors de l’Apocalypse : l’Espagne allait payer pour tous ses péchés dans la destruction du Paradis.

Son interprétation historique a été fortement influencée par saint Augustin. Regardée de plus près, son Historia de las Indias est un vaste essaie d’histoire prophétique, « une exploration du lent et tragique développement de la providence divine ». Il s’agit du schéma augustinien du conflit entre la Ville Terrestre et la Ville Divine, de l’opposition entre l’amour pour soi-même, le désir de pouvoir, et l’amour de Dieu et l’obédience chrétienne (p. 76). L’impact de ses écrits et de son activité est tel, que la légitimité de la conquête espagnole a été mise en examen longtemps après, par des chroniqueurs criollos des générations nouvelles qui ont trouvé dans l’œuvre de las Casas des arguments pour démontrer les injustices de la conquête originaire (p. 78). Cela a fait de fray Bartolomé une pièce clé dans la construction du nationalisme criollo.

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Félix Parra, Fray Bartolomé de las Casas, 1875. Source

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