Dans son article « Leçons italiennes », K. Pomian souligne l’emploie tardif en français du mot « musée », à différence d’autres mots comme cabinet ou muséum. SelonPomian, nous pouvons y voir un signe de « la lenteur de la gestation en France de l’idée même de Musée (p. 337) ». Le mot « musée » ne figure pas dans les écrits de tous ceux qui en discutent la nécessité de l’ouverture à Paris entre 1740 et 1750, comme La Font de Saint-Yenne, Caylus, Maffei (p. 339).
Pomian signale trois exemples de l’emploi du mot musée (p. 338) : une lettre du Poussin, datée à Rome le 3 juillet 1650 ; les notes en français de Montfaucon pour la publication en 1702 de son Diarium italicum ; et la publication de Charles de Brosses, Lettres d’Italie, en 1755. Mais dans ces trois exemples, le mot « musée » est utilisé pour désigner un cabinet, comme l’entend le Dictionnaire de Trévoux en 1743 : « cabinet d’homme de lettres (cité p. 339) » ; ou celui de l’Académie de 1762 : « Collection d’antiques de médailles de plantes, de coquilles (cité p. 338) ». Un premier pas vers l’utilisation du terme « musée » est marqué par l’abandon de l’usage du mot « cabinet » en faveur du mot « collection » (p. 338).
Chez quelques auteurs comme Montfaucon ou dans le dictionnaire de Furetière, les termes cabinets et musées sont des synonymes, dans le sens de tout ce qui est contenu dans un cabinet. Par exemple, Furetière définit le « cabinet » ainsi : « on dit chez le Roy et chez quelques Grands Seigneurs, le Cabinet des livres, des armes, des médailles, pour signifier les lieux où ces choses sont rangées et les choses mêmes qui y sont conservées (Furetière, 1690, cité par K. Pomian, 339) ». Pomian signale alors que l’abandon du terme cabinet souligne l’importance acquise par le contenu et laisse de côté le contenant, c’est-à-dire, la définition architecturale du cabinet et, par là, c’est un signe de la fin des cabinets comme pièces (p. 338-9). Vers les années 1760, le mot « musée » apparaît dans le dictionnaire, définit comme un lieux d’étude. Le terme fait référence aux sciences et lettres en 1765 dans l’Encyclopédie, mais ce n’est toujours pas un lieu d’exhibition (Encyclopédie, t. X, 1765, pp. 893-894, cité p. 340).
Cependant, d’autres orthographes coexistent et sont même plus utilisées : « museum », « musoeum », « musaeum ». Cela s’explique, affirme Pomian, car en français on n’emprunt pas le terme du latin, sinon de la littérature de voyage, en particulier en italien et en anglais (p. 340). Pendant la Révolution, on préfère le terme « museum » pendant les premières années. A partir de 1793, le mot « musée » commence à occuper une place plus importante, jusqu’à ce qu’en janvier 1797, le Museum national change son nom our celui de Musée central des arts (p. 341). L’utilisation du mot musée dans le sens moderne, est possible en France grâce à la réflexion sur les collections à l’étrangère et à la prise de conscience de la spécificité que constitue une collection qui peut être appelée un musée tel qu’il le définit au début de l’article :
collection d’objets naturels ou artificiels investis de signification et donc de valeur, appartenant à une entité morale, conservée dans un intérieur affecté exclusivement à cet effet, mise en ordre selon les critères censés avoir une validité intersubjective, et régulièrement exposée au public (p. 337).
C’est son statut, plus que son contenu, ce qui différencie une collection d’un musée. À l’unité dans un seul lieu, Pomian rajoute cinq autres critères : la valeur donnée aux objets ; la propriété attribué à une personne morale ; la conservation spécialisée ; les critères d’organisation et l’accès au public. Tous ces critères se développent dans chacun des musées au long de l’histoire. L’appartenance à une entité morale – une dynastie, la papauté, une république, une ville – donne aux collections leur caractère public (p. 345).