La catastrophe pour venir

François Hartog, “Vers une nouvelle condition historique”. Le Débat. Histoire, politique, société, núm. 188 (2016): 169–80.

François Hartog revient sur la notion du régime d’historicité, cette fois depuis le point de vue de la crise du présentisme. Dans son livre Régimes d’historicité, il s’était déjà occupé de quelques aspects de cette crise, mais ici il prend un tournant plus obscur et presque existentialiste à la lumière des concepts de catastrophe, d’apocalypse et de prophétie.

Francois Hartog

François Hartog por Bruno Levy (Fuente)

Hartog vide le concept d’Histoire de tout élément subjectif ou idéologique. Ainsi, l’histoire devient un « réceptacle de plusieurs strates temporelles » dans lequel sont réunies les trois dimensions du passé, présent et futur (p. 173). L’histoire réunit toujours les trois temporalités, sans lesquelles il n’est pas possible de parler d’histoire. Quand une d’entre elles prend la prééminence dans le récit historique, des « régimes d’historicité » sont constitués. De cette manière, il y a trois possibilités : le régime ancien regardant vers le passé, et qui fait de l’histoire une « maîtresse de vie », une source d’exemples et l’inspiration pour les imiter ; le régime moderne regardant vers le futur, vers cet « horizon insupérable », tel qui l’a proposé le marxisme ; et le présentisme, dont le caractère principal est l’immédiateté.

Ce dernier régime a pris un tournant particulier tout au long du XXᵉ siècle, d’où l’on puisse déduire l’annulation des autres strates temporelles. Le passé, un lieu de plus en plus lointain, bien qu’il existe plusieurs usages, aujourd’hui ils se sont multipliés jusqu’au point qu’il est impossible de tous les mentionner. À cet égard, Hartog signale le livre récent de Serge Gruzinski, L’Histoire pour quoi faire ?, espèce d’inventaire des usages du passé (voir aussi l’article par Stephen Palmié et Charles Steward, « The Varieties of Historical Experience »). Face à l’énorme variété des manières d’étudier l’histoire, l’Europe a théorisé et imposé sa manière au tour du monde, ce qui a donné par résultat, entre autres « l’établissement de l’histoire comme discipline, sous la forme d’une histoire nationale (p. 178). Ce modèle serait reproduit inlassablement pendant le XIXᵉ et le XXᵉ siècles, jusqu’à l’arrivée de méthodes critiques faisant attention à la dimension locale ou périphérique.

En ce qui concerne le futur, le diagnostic n’est pas très lumineux : « le ‘temps des catastrophes’ … tend à s’imposer comme l’horizon de notre expérience historique » (p. 176). La crise du régime présentiste a son origine à son tour dans la crise du régime moderne : le futur n’est plus celui du progrès, mais celui des guerres ayant marqué le monde au long du XXᵉ siècle. Le chemin entre le présent et le future est semé des corps des millions des victimes des catastrophes de l’humanité, à cause de l’instauration de l’industrie de la mort, même effaçant de l’histoire ces morts. Une des expressions les mieux connues de cette vision du futur se trouve dans l’interprétation par Walter Benjamin du tableau Angelus novus de Paul Klee, dans ses Thèses sur l’histoire. Dans ces conditions, la question qui s’impose est de savoir comment faire de l’histoire et lui donner un sens à l’expérience historique ? Peut-être qu’il n’y a toujours pas de réponse concrète, mais l’attitude généralisée a été de se renfermer dans le présent (p. 172).

Coll IMJ, photo (c) IMJ

Paul Klee, Angelus Novus (Fuente)

La singularité du régime présentiste consiste en ce que ni le passé ni le futur sont des références pour le présent : tout est réaction à l’urgence, au temps réel, à la simultanéité. L’histoire s’accélère. Ce qui Hartog a appelé la « condition numérique » (p. 180), qui s’annonce comme la nouvelle condition historique. Le présentisme contemporain se transforme en l’histoire « de l’instantané et du simultané » (p. 178). Le régime ancien avec ses leçons et ses monuments entre en crise : symptôme de cette crise, la notion de « patrimoine » se multiplie avec l’espérance de préserver les références au passé afin d’expliquer le présent (p. 176). En plus, avec la mondialisation, l’histoire s’étend dans un nouvel « espace-monde », cherchant les symétries, renonçant à l’eurocentrisme et constituant l’« Histoire globale » (p. 178).

En se renfermant dans le présent, l’humanité croit barrer le passage à l’Apocalypse présagé par tout régime ancien ou moderne. L’Apocalypse est un futur parmi d’autres et son caractère unique et permanent lui permettrait de s’établir comme une strate temporelle. Cependant, si jamais le présentisme ferme la porte à l’Apocalypse, par contre il l’ouvre à la catastrophe, répétitive et établie comme la mesure de l’expérience historique (p. 176), forçant à repenser l’histoire moderne. À mesure que s’établit la conscience que le lien commun entre toutes les catastrophes c’est nous-mêmes, les spécialistes du passé (historiens, archéologues, paléontologues) se mettent d’accord pour parler de l’Anthropocène, c’est à dire, l’ère géologique dans laquelle l’homme a laissé sa marque la plus visible (p. 176). Chaque fois, il est plus clair que le futur catastrophique – c’est à dire, la répétition de la catastrophe actuelle – est généré par la série des actions ou des omissions humaines (p. 173).

Pour savoir plus:

  • BONNEUIL, Christophe et Jean-Baptiste Fressoz, L’événement anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2013
  • CERTEAU, Michel de, L’Écriture de l’histoire, Paris, Gallimard, 1975
  • FOGEL, Jean-François et Bruno Pattino, La condition numérique, Paris, Grasset
  • GAUCHET, Marcel, La condition historique, Paris, Stock, 2003
  • GRUZINSKI, Serge, L’Histoire, pour quoi faire ?, Paris, Fayard, 2015
  • PALMIÉ, Stephan et Charles Stewart, « The Varieties of Historical Experience »
  • RICŒUR, Paul, La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli, Paris, Seuil, 2000
  • SOGNER, Solvi (éd.), Making Sense of Global History, Universtiteksforlaget, Oslo, 2001
  • SUBRAHMANYAM, Sanjay, Aux origines de l’histoire globale. Leçon inaugurale au Collège de France, 2013, http://books.openedition.org/cdf/3606

Lettre de Paris

Chère famille, chers ami(e)s :

Les moments que nous sommes en train de vivre en France sont indescriptibles. La peur, le chagrin, la rage ont envahi toute la société de ce pays qui, depuis neuf ans, est ma maison. Toute tentative d’écrire ou de prononcer les mots justes est entièrement triviale. Le seul sens que j’ai pu trouver à la masacre du vendredi dernier est celui de l’horreur. L’horreur profond et non mérité qui a finit avec la vie de dizaines de personnes.

Le chagrin et la peur qui m’envahissent, comme vous l’imaginez probablement, je les partage avec des milliers de personnes dans cette ville. Nous la partageons avec des gens de tout le monde, de toutes origines, croyants ou pas. Paris nous permet de l’appeler notre ville, sans se soucier d’où nous sommes originaires. Il ne faut pas être né ici, ni dans ce pays pour ressentir à la première personne le moment si obscur que nous traversons. Il suffit de penser à toute la beauté disparue à cause de la haine afin de ressentir les larmes qui montent aux yeux et que le cœur s’alourdit, tel un coup sur la poitrine, sec et bien placé. Toute cette beauté qui a disparue au bout de quelques minutes : des jeunes et des adultes, des couples, des artistes, l’atmosphère de ces quartiers parisiens. Tout au long de ma vie, je n’avais jamais ressenti l’importance des choses banales, des activités qui deviennent précieuses au point d’y laisser la vie : la beauté d’un café sans histoires, d’un resto, d’un match de foot. Toute cette beauté devenue la peur, l’horreur et le vide. La paralyse et l’impuissance.

La chose la plus intelligente à fair, pour l’instant, est de ne pas changer notre forme de vie. Refuser à emprunter la route de la peur que des fanatiques ont signalée, achevant des centaines de vies. La chose la plus courageuse est de continuer, sans pourtant oublier les victimes et ses familles, avec l’espoir de leur apporter de la consolation grâce à notre travail quotidien.

Cher(e)s ami(e)s, chère famille : si vous aviez vu toute cette beauté assasinée vous me comprendriez toute de suite. Cette belle négligence qui parcourt les bars et les cafés, l’assurance avec laquelle les jeunes se conduissent dans la rue, l’attitude sournoise et les sourires au coin des lèvres dans les visages des inconnus qui se croissent, cet humeur bon enfant des salles de concert, cette manière à Paris d’être une ville ouverte et au même temps mystérieuse.

Aujourd’hui, sur la route au boulot dans ma chère bibliothèque, je n’ai croissé que des regards basses ou qui réfletaient notre chagrin, notre envie de pleurer et de ne rien faire. Nous avons accepté résignés la présnece de guardiens à l’entrée et nous nous sommes prêtés à la révision de nos appartenances. Tous les habitants de Paris font des efforts, de toute évidence au-demà de leurs forces, pour continuer : un sourire un peu forcé, une courtoisie dans la porte un tout petit forcé, un coup de pied non réclamé ; aujourd’hui, ça vaut pas la peine de faire attention à ce genre de détails. Nous faisons des efforts pour nous imposer à la douleur.

Parisiens de tout le monde, il s’agit aujourd’hui de nous consoler. Il s’agit de nous accrocher à ce petit bâteau battu par les vagues mais qui réfuse de sombrer.

Aujourd’hui ça va mieux, entre des étudiants et des lecteurs dans la bibliotèhque. Au milieu du silence du seul combat qu’il vaut la peine de mener : celui de la pensée. Car il est vrai qu’il existe une vie après la mort et elle se trouve dans l’étude, dans les bibliothèques et dans les universités. Et Paris, avec ses parisiens de tout le monde et de tous les siècles, sait très bien ce que son histoire signifie et que là se trouve une partie à la réponse à notre chagrin.

Chère famille et cher(e)s ami(e)s, je vous embrasse et sachez que je pense beaucoup à vous, plus que vous ne l’imaginez.

Los quiere,

Pablo

Le souvenir d’une action juridique

Amédée Outrey. « Sur la notion d’archives en France à la fin du XVIIIe siècle ». Revue historique de droit français et étranger, no LI (1953): 277‑286.

Amédée Outrey

Amédée Outrey. Source

Entre les années 20 et 30, Amédée Outrey avait fait carrière diplomatique pour le gouvernement français et puis comme chef des Archives du Ministère des affaires étrangères, prend partie aux travaux de codification de la législation des archives en France, en 1950 (p. 277). À partir des travaux des discussions il a publié une série d’articles dont celui-ci est un des premiers.

Dans cet article, il essaie de démontrer qu’il est erroné de croire que la notion d’archives de la fin du XVIIIᵉ siècle, ne corresponde en rien à la notre — au moins à celle des années 50 du XXᵉ siècle — (p. 278). Il procède avec l’analyse de plusieurs dictionnaires d’époque et surtout, des travaux d’Armand-Gaston Camus, en particulier un article apparu dans la Collection Denisart, dont le fait que Camus n’ait pas signé cet étude appuie l’idée, selon Outrey, que c’était une opinion généralement acceptée.

Outrey commence pour faire le commentaire des articles « Archives » dans les quatre éditions du Dictionnaire de l’Académie au long du XVIIIᵉ siècle : celles de 1718, 1740, 1762 et 1798. Les articles apparus dans la première édition de 1694 et celle de 1718, ne diffèrent qu’en l’ordre des deux paragraphes qui la composent, mettant en tête celle qui était plus répandue. Du reste, Outrey observe qu’on peut conclure qu’il y a deux acceptions pour le terme Archives : soit le lieu de conservation, soit le document conservé (p. 278). Dans ces définitions, les documents conservés sont considérés « ceux qui pouvaient servir à la réclamation d’un droit ». Donc, selon l’Académie et son dictionnaire, seuls les documents authentiques peuvent servir à une réclamation — car authentiques, bien entendu.

L’article « Archives », dans le premier volume du Dictionnaire de l’Académie françoise, édition de 1762. Notons que les deux paragraphes apparaissent en sens inverse à celui de l’édition de 1699. Source : Gallica

Dans ce sens, les documents gardés dans les archives sont, comme l’avait définit sir Hilary Jenkinson, garde des archives de la couronne britannique et contemporain de Camus, « la matérialisation sous forme d’écrit du souvenir d’une action juridique » (cité p. 284). D’ailleurs, on peut dire que depuis ce point de vue, les révolutionnaires n’ont pas saisi les archives juste avec une logique simplement destructrice ; ils ont bien compris que ces documents étaient l’expression objective des statuts que régissaient leur société. Cette observation nous permet de faire un commentaire sur le lien entre archives et statuts. Si nous regardons dans l’Encyclopédie, on voit que le statut était synonyme de loi. En effet, la première définition est la suivante : « terme générique qui comprend toutes sortes de lois & de réglemens » (Encyclopédie, vol. 15, 505). Il y avait plusieurs sortes de statuts : généraux et particuliers, et ceux qui nous intéressent maintenant sont les statuts personnels. De nouveau dans l’Encyclopédie, nous lissons :

Les statuts personnels sont ceux qui ont pour objet la personne, & qui ne traitent des biens qu’accessoirement, tels sont ceux qui regardent la naissance, la légitimité, la liberté, les droits de cité, la majorité, la capacité ou incapacité de s’obliger, de tester, de citer en jugement, &c.

En résumé, les statuts donnent origine à une série de droits que peuvent être réclamés seulement par une personne dont son statut lui donne accès, et à travers des documents gardés aux archives.Maintenir les archives intactes serait, pour les révolutionnaires, le maintien intacte de l’ancien ordre et l’idée de détruire les documents est véhiculée par l’idée de reformer la société.

Revenons à la définition d’archives selon le Dictionnaire de l’Académie. Cette définition serait celle tenue pour la plus acceptée, mais c’est justement celle critiquée par Outrey. Or, dans la deuxième édition de la Collection de décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence de Denisart, améliorée et publiée en 1783 par Camus, Bayard et Meunier, on trouve une définition différente (p. 280) et qui est, avec certitude, de la main de Camus. Outrey est persuadé que l’auteur anonyme de l’article correspondant aux archives a été écrit par Camus. Nous n’exposerons pas les arguments d’Outrey, mais il suffira de dire que Outrey a comparé le style de cet article avec d’autres rapports de la main de Camus (p. 281).

Dans la Collection Denisart, donc, Camus définit les archives dans un premier moment comme le « lieu où l’on dépose des actes authentiques pour les conserver ». À partir de cette définition, Camus oppose « les archives proprement dites » aux « monuments écrits », ce qui donne origine à deux types de documents : d’un côté, les « titres », les « actes authentiques, diplômes, chartres, contrats » ; et de l’autre, les « écrits de tout genre » gardés « par occasion et accidentellement » (p. 282). Chares Dumoulin définit les archives proprement dites de manière très similaire dans son œuvre Opera omnia ;mais il les restreint à trois caractéristiques : appartenance à l’État, réception d’écritures authentiques et gardées par un officier public (p. 283). Cette définition n’est pas suffisant pour Camus, car il perçoit les changements et les évolutions dans les dépôts d’archive. Il met même l’exemple des différentes archives créées par le Roi, dont il justifie leur existence car elles contiennent des « actes solennels et émanés de personnes qui avaient caractère pour le faire » (p. 283).

Armand-Gaston Camus. Source

Camus ajoute l’aspect subjectif à la définition d’archives, à côté de l’aspect objectif sur l’originalité des documents. En plus, il y a les opinions de Sir Hilary Jenkinson, garde des archives de la Couronne Britannique, qui considère que le mot archive couvre une grande typologie, et l’opinion recueillie dans le Dictionnaire de jurisprudence publié à Lyon en 1787 :

Les archives publiques sont celles qui sont formées par l’autorité de celui qui en a le pouvoir et le droit autoritate superioris potestatem habentis ; elles sont destinées à conserver les titres et actes authentiques, in quo non nisi scripturae publicae solent reponi

Quoique je ne suis tout à fait convaincu par l’idée que ce soit une idée généralement acceptée, c’est vraie qu’il me manquent au moins, deux éléments pour juger : des lectures sur la suite des recherches menées par Outrey et des lectures sur les travaux de Camus. En outre, je ne rejette pas l’idée à cause de la grande influence de Camus dans l’organisation des archives françaises pendant et après la Révolution.

Pour savoir davantage :

  • Collection de décisions, nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence, donnée par M. Denisart, mise dans un nouvel ordre, corrigée et augmentée par MM. Camus, Bayard et Meunier, avocats au Parlement, Paris, Ve. Desaint, 1783, t. II, p. 274 (pour l’article « Archives »)
  • CAMUS, Armand-Gaston, Etat des Archives nationales au 1er octobre 1791 et dépenses de cet établissement du 1er octobre 1790 au 1er octobre 1791, Paris, Impr. Nat., 4e éd., (BnF Le 29 1912)
  • CAMUS, Armand-Gaston, Etat des Archives nationales au 10 septembre 1792 et dépnses de cet établissement du 1er octobre 1791 au 10 septembre 1792, Paris, Imp. nat., (s.d.), in 8°, 27 pp.
  • CAMUS, Armand-Gaston, Etat général des dépenses faites aux Archives de la République française depuis le 10 septembre 1792 jusqu’au 1er brumaire an IV, Paris, Imp. nat., Prairial an V, 16 p.
  • CAMUS, Armand-Gaston, Etat des Archives nationales au 1er prairial de l’an V et dépenses de cet établissement du 1er nivôse an IV au 1er germinal an V, Paris, Imp. nat., (Prairial an V), 26 p.
  • CAMUS, Armand-Gaston, Etat des Archives nationales au 1er prairial an VI et dépenses de cet établissement pendant le cours de l’an V, Paris, Imp. nat. (an VI), 29 p.
  • CAMUS, Armand-Gaston, Etat des Archives au 1er prairial an VII et dépenses de cet établissement pendant le cours de l’an VI, Paris, Impr. nat. (Prairial an VII), 24 p.
  • CAMUS, Armand-Gaston, Mémoire sur l’origine et l’organisation des archives, manuscrit aux Archives Nationales
  • Collection de décisions, nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence, donnée par M. Denisart, mise dans un nouvel ordre, corrigée et augmentée par MM. Camus, Bayard et Meunier, avocats au Parlement, Paris, Ve. Desaint, 1783, t. II, p. 274 (pour l’article « Archives »)
  • DUMOULIN, Charles, Opera omnia, Paris, Ant. Dezallier, 1681, t. 1 — Commentarii in consuetudines Parisienses, titre I, Des Fiefs§ VIII. Gloss, in ve: Dénombrement, p. 160, n° 26.
  • OUTREY, Amédée. « Le législation révolutionnnaire sur les archives, la loi du 7 septembre 1790 », in Revue historique de droit français et étranger 3 (1955), 31 p.
  • OUTREY, Amédée. « Un épisode mal connu de l’histoire des Archives nationales : la tentative de mise en application, par Danton, du décret du 7 août 1790 sur la réunion des archives du Conseil, septembre 1792-avril 1793 », in Revue historique de droit français et étranger 4 (1958), p. 530-554
  • RAVAISSON, Felix, Rapport adressé à son Excellence le Ministre d’Etat, au nom de la Commission instituée le 22 avril 1861, Paris, Pancoucke, 1862

 

Le peuple et les arts

De Bugny, L. P. « De l’influence des Belles-Lettres, des Sciences et des Arts, sur la situation politique des Nations ». Magasin Encyclopédique ou Journal des Sciences, des lettres et des arts, no 4 (1796): 14-29.

Quelques philosophes, parmi lesquels Rousseau, avaient ouvert la polémique sur la nécessité et l’opportunité de développer les sciences et les arts au peuple. Rousseau, en particulier, était souvent cité comme l’opposant le plus distingué. Rousseau avait affirmé dans son célèbre Discours sur les sciences et les arts, que les arts sont le produit du luxe et, en conséquence, du vice.

Jean-Jacques Rousseau

Dans son essai, de Bugny signale une contradiction chez Rousseau, car le genevois affirme aussi que les arts et les sciences ont opéré « une révolution favorable aux mœurs » (p. 14). Cependant, de Bugny ne donne pas une réponse claire au problème. Après avoir rappelé sommairement l’histoire des égyptiens, grecs, romains et chinois, il conclut que les arts et les sciences ont seulement servi à une élite et, de ce point de vue, elles génèrent des différences parmi la société (p. 22 et 24). Il est nécessaire, pour leur épanouissement, un juste milieu :

Dans toutes les parties du monde le despotisme a proscrit les belles-lettres, et cependant elles n’ont jamais subsisté long-temps avec la liberté. J’en dois conclure que le gouvernement modéré est e seul qui leur soit favorable : c’est en effet sous son appui qu’elles ont brillé avec le plus d’éclat (p. 20)

Or, dans un régime démocratique, dans lequel toutes les besoins matériels des citoyens soient satisfaits, il n’y a plus raison de le développer, car les citoyens seront contents des simples mélodies.

Mais ce qui a attiré mon attention c’est une note en bas de la page 16. De Bugny y écrit :

Il semble donc que, parmi eux [les égyptiens], les sciences et les arts y étoient dans la situation qué désiroit Rousseau, étrangers au commun des hommes, il n’étoient qu’entre les mains des sages, et il paroît que loin de produire des effets plus heureux au bonheur des hommes, ils n’ont servi qu’à affermir le despotisme d’une caste particulière. Je m’étonne que cette réflexion ait échappé à ses adversaires.

Les Lumières ont été à l’origine de l’idéal de l’instruction publique, et la Révolution l’a repris vigoureusement, en l’étendant vers les sciences et les arts. À la base de cet idéal, se trouve la publicité que, comme l’explique de Bugny, signifie que les productions artistiques et scientifiques soient à la portée de tous les citoyens.

Vu que ni la liberté ni les régimes autoritaires sont propres aux sciences et arts, de Bugny affirme que leur utilité est seulement d’ordre pragmatique. Si l’inégalité s’accroit, « les belles-lettres amusent les esprits par leurs charmes ». Si l’oisiveté devient dangereuse, « les sciences viennent alors occuper son loisir [de la classe opulente] par leurs utiles difficultés » ; si les pauvres travaillent trop, alors « les sciences encore les allègent par des procédés ingénieux ».

Les femmes révolutionnaires, apéllées aussi les « Tricoteuses »

125 tableaux

« Catalogue des 125 tableaux enlevés de la Surintendance à Versailles, et transportés à Paris au vieux Louvre par ordre de M. Roland, ministre de l’Intérieur le 17 et 18 septembre 1792 ». [Versailles], septembre 1792. CARAN. F17 1059, dossier 16, n° 2.

En septembre 1792, Jean-Marie Roland, alors ministre de l’Intérieur,  avait fait pression sur l’Assemblée Législative afin d’obtenir pour son ministère la responsabilité sur les monuments et les œuvres d’art. Entre le 15 et le 16 septembre, trois décrets sont expédiés : l’un confie la surveillance des monuments au ministre de l’Intérieur ; un autre spécifie la conservation des monuments considérés chefs-d’œuvre, et le dernier précise que le décret précédent est d’application dans tout le territoire français. Une des premières conséquences est le transport de plus de 125 tableaux de la Surintendance de Versailles au Louvre le 17 et le 18 septembre 1792.

Louis-Jacques du Rameau, Catalogue des tableaux du cabinet du Roi placés dans l'Hôtel de la Sur-Intendance à Versailles fait en l'année 1784. Source : INHA

Louis-Jacques du Rameau, Catalogue des tableaux du cabinet du Roi placés dans l’Hôtel de la Sur-Intendance à Versailles, 1784. Source : INHA

Au même temps, David et Lenoir faisaient pression sur le ministre afin de supprimer la Commission des monuments et la Commission du Muséum, créées toutes deux par le ministre, des mois avant. Dans une lettre adressée à David, Roland lui dit :

Ce muséum doit être le développement des grandes richesses que possède la nation en dessins peintures, sculptures et autres monuments de l’art ; ainsi que je le conçois, il doit attirer les étrangers et fixer leur attention, il doit nourrir le goût des beaux-arts, récréer les amateurs et servir d’école aux artistes. Il doit être ouvert à tout le monde et chacun doit pouvoir placer son chevalet devant tel tableau ou telle statue, les dessiner, peindre ou modeler à son gré. Ce monument sera national et il ne sera pas un individu qui n’ait droit d’en jouir.

Pour l’ouverture du Louvre, le ministre a sélectionné les peintres les plus célèbres. Dans le « Catalogue des 125 tableaux enlevés de la Surintendance à Versailles », de septembre 1792, figurent les noms de l’Albane, des Corrège, du Lorrain, Holbein, le Poussin, Raphaël, Rembrandt, ou du Titien.

L’universalisme de Grégoire

Sepinwall, Alyssa Goldstein. The Abbé Grégoire and the French Revolution: The Making of Moder Universalism. Berkeley: California University Press, 2005.

Gregoire

Ce livre je l’ai lu en 2011. Les fiches que j’ai en fait attendait là, le temps de pouvoir être travaillées. Il s’agit d’une de dernières biographies sur l’abbé Grégoire, figure et symbole de la Révolution Française.

En reprenant les réflexions de Roger Chartier, Sepinwall nous met en garde sur la vision idéalisée des rapports entre les Lumières et la Révolution Française. On a beau chercher et trouver les origines du mouvement révolutionnaire dans la pensée des philosophes, sans trop faire la critique de cette conception. Cependant, il y a eu d’autres acteurs, intellectuels ou non, que n’ont forcément pas un lien direct, voire sont complètement opposés aux Lumières. Tels sont les cas, à divers degrés, de la maçonnerie, du jansénisme, du richerisme, et des intellectuels juifs. Ainsi, Sepinwall propose que « ce ne sont pas les Lumières qui ont créé la Révolution, mais la Révolution qui a créé les Lumières » (p. 11).

Je ne ferais pas ici le résumé de la vie de l’abbé. L’exposé de Sepinwall est chronologique et, de ce point de vue, il est très claire. On parcourt la vie depuis les origines et les premières influences intellectuelles du jeune Grégoire, jusqu’à son activité comme législateur et auteur sous le régime napoléonien. On ne peut, par contre, ne pas signaler la ferme volonté de Grégoire pour essayer d’harmoniser les idéaux révolutionnaires et la foi chrétienne : il a été parmi les premiers prêtres à faire le serment constitutionnel, et il a été entre ceux qui ont refusé de renier de la foi chrétienne ou d’abandonner les habits ecclésiastiques. Une des innovations de cette ouvrage, comme le signale Bernard Gainot dans sa critique, c’est son exposé sur les liens de Grégoire avec des penseurs d’Amérique Latine, en particulier avec Fray Servando Teresa de Mier, « théoricien en chef de l’insurgence mexicaine », et des Etats-Unis (la trosième partie, intitulée « Keeping the Faith: Grégoire, Regeneration, and the Revolution’s Global Legacy, 1801-1831 », pp. 159-215).

Extrait du tableau du serment du jeu de paume de David.Cadrage sur dom Gerle (clergé régulier), l'abbé Grégoire (clergé séculier) et Rabaut Saint-Étienne, fils du pasteur Paul Rabaut (protestant).

Serment du jeu de paume de David (extrait). À gauche, dom Gerle (clergé régulier), l’abbé Grégoire (clergé séculier) et Rabaut Saint-Étienne (protestant). Source : Wikipédia

Ce qui m’intéresse de cette biographie est le travail autour de la notion de « régénération », que nous pouvons affirmer, c’est l’axe du livre. Au XVIIIe siècle, le mot avait deux sens : un médical, qui faisait référence aux soins dispensés aux blessures, et un théologique, qui faisait référence au baptême ou à la résurrection (p. 57). Quoique dans l’Encyclopédie le mot régénération est définie dans le sens théologique, d’Alembert l’emploi dans le Discours Préliminaire dans un sens intellectuel et séculaire. Pour parler des idées et de la génération de la connaissance, d’Alembert oppose l’ignorance et la régénération. Le mot s’est répandu et aux Etats-Généraux, Louis XVI a été proclamé comme « le grand régénérateur de la France » (p. 58)

À différence d’autres philosophes, Grégoire croyait en la possibilité d’instruire le peuple, la « canaille » (p. 41). Il s’agit de mettre en oeuvre l’idéal de régénération, par le moyen de l’instruction publique. C’est pour cette raison que l’abbé entreprend la tâche d’éradiquer le patois. Grégoire faisait partie de la Société des Philanthropes de Strasbourg. Cette société a été créée autour de 1770. Elle était dédiée à l’observation et à l’étude de la société (p. 28-29). C’est là qu’il a fait connaissance de Jérémie-Jacques Oberlin, qui très probablement l’influence dans son idée d’instruction publique généralisée. D’ailleurs, en 1775, Oberlin avait écrit un Essai sur le patois lorrain, où il affirme que le lorrain est plutôt une corruption du français, qui n’avais pas besoin d’être modernisé ou, dans d’autres mots, qui avait besoin d’être éradiqué.

L’idée de l’éradication du patois serait, pour Grégoire, le premier pas pour réussir à l’instruction du peuple, de la « canaille » (p. 41), idée à laquelle il était attaché (p. 38). Sepinwall souligne l’importance des écrits de Grégoire sur les juifs. En 1787, Grégoire avait participé dans un concours de la Société royale des sciences et des arts de Metz, sur la question Est-il des moyens de rendre les Juifs plus utiles et plus heureux en France ?. Ce travail est basé sur la notion de « régénération », que deviendra, quelques années plus tard, l’un des concepts les plus importants du mouvement révolutionnaire.

Le vocabulaire « universaliste » de la Révolution française est issu, d’après Sepinwall, des choix pragmatiques. Les spécialistes les plus anciens voient dans ce vocabulaire un choix conscient, tandis que les nouveaux études à ce sujet montrent un choix rétrospectif. Ce choix pragmatique, a diverses raisons : le désire de détruire le système de privilèges qui refusait au Tiers Etat les privilèges que le Premier et le Second en avaient, et en deuxième place, le désire de substituer la souveraineté monarchique pour la populaire. Pour Grégoire, l’universalisme ne concenrait juste une inclusion politique de tous les individus, mais aussi une fusion culturelle.

Hubert Robert, La violation des caveaux des rois dans la basilique Saint-Denis, en Octobre 1793

Hubert Robert, La violation des caveaux des rois dans la basilique Saint-Denis, en Octobre 1793

Un autre aspect qui m’intéresse particulièrement de l’abbé Grégoire est, bien sûr, ses écrits sur le vandalisme, mais malheureusement pour mois, ils ne sont pas l’objet d’un étude approfondi par Sepinwall. Grégoire inventa le terme. Sepinwall affirme que l’idée de vandalisme dans la pensée de Grégoire est dérivée de sa conception de l’histoire et comment elle faisait partie du procès de la Révolution française.Grégoire, comme d’autres révolutionnaires, voyait dans l’histoire une référence pour la France, une sorte de paternité qui permettait légitimer le nouveau régime. Cependant, même si le passé était vu comme une référence de la plus grande importance, il n’était pas vinculante. Grégoire considérait l’histoire comme un registre des progrès de l’humanité, un registre qui devait être préservé et examiné pour garantir le progrès futur. Cette vision lui permettait dénoncer les destructions des monuments historiques, de ce qu’aujourd’hui nous appelons le « patrimoine culturel français » (p. 138).

Quelques écrits de Grégoire sur l’importance de l’instruction publique :

  • Rapport sur la nécessité & les moyens d’anéantir le patois, & d’universaliser l’usage de la langue française, séance du 16 prairial an II [4 juin 1794] à la Convention Nationale, Paris, Imprimerie nationale, 1794
  • Discours sur l’éducation commune, séance du 30 juillet 1793 à la Convention Nationale, Paris, Imprimerie nationale, 1793
  • Rapport sur l’ouverture d’un concours pour les livres élémentaires de la première éducation, séance du 3 pluviôse an II [22 janvier 1794] à la Convention Nationale, Paris, Imprimerie Nationale, 1794
  • Nouveaux développemens [sic] sur l’amélioration de l’agriculture, par l’établissement de maisons d’économie rurale… , séance du 16 brumaire an II [26 octobre 1793] à la Conventiona Nationale, Paris, Imprimerie Nationale, 1793

D’autres ouvrages qui peuvent servir à la lecture de Sepinwall :

  • OZOUF, Mona, « La Révolution française et la formation de l’homme nouveau », in L’homme régénéré : Essais sur la Révolution française, Paris, Editions Gallimard, 1989
  • BAECQUE, Antoine de, « L’homme nouveau est arrivé: La ‘régénération’ du français en 1789 », Dix-huitième siècle, n° 20, 1988, 193-208
  • BELL, David A.l, Cult of the Nation in France. Inventing Nationalism, 1680-1800, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 2001

Art et propagande

Dowd, David L. « Art as National Propaganda in the French Revolution ». The Public Opinion Quarterly 15, no 3 (automne 1951): 532‑546.

David Lloyd Dowd était un spécialiste en l’art français pendant la Révolution Française. Il a notamment publié Pageant-Master of the Republic. Jacques-Louis David and the French Revolution (Lincoln: University of Nebraska, 1948, xiv, 205 pp.) Il a été un des pionniers dans l’étude de l’art comme propagande. On ne va pas faire le commentaire de son oeuvre de 1948, car on croit que l’essentiel est exposé dans le petit article de 1951.

Comme quelques années plus tard le fera James A. Leith dans son ouvrage The Idea of Art as Propaganda in France. 1750-1799 (University of Toronto Romance Series 8. Toronto: University of Toronto Press, 1965, xii, 184 pp.), Dowd arrive à la conclusion que pendant la Révolution, différentes techniques de propagande ont été mises au point et que, en fait, ces techniques étaient déjà utilisées depuis le règne de Louis XIV au moins.

Parmi ces techniques, on trouve les clubs, les journaux, les pièces de théâtre, les pamphlets, les festivals, les costumes, les décorations intérieures, les bals, les discours, les chansons, les peintures, les sculptures et les monuments.

L’importance de l’art dans la société était depuis longtemps étudiée et discutée : Montesquieu, Voltaire, Diderot ou Rousseau en parlent dans leurs œuvres (p. 535). Dans le même esprit, toutes les factions de la Révolution étaient d’accord en affirmer l’importance des arts dans la vie en société. Dowd cite un discours de Danton le 26 novembre 1793, où il appelle à encourager des projets artistiques afin « d’inspirer l’amour pour la liberté et pour la patrie ».

Après la disparition de la Monarchie, les artistes ont vu avec normalité la substitution de l’Etat dans les commandes. Ils considéraient que le nouvel Etat devait être aussi généreux dans ses commandes que le monarque. La plupart d’entre eux, sauf quelques exceptions, se sont rangés avec le gouvernement révolutionnaire.

Le langage artistique produit par le nouveau gouvernement, surtout dans la première période de la Révolution, mettait l’accent dans les vertus civiques des citoyens. Il n’y a presque pas des scènes des batailles. Un des exemples les plus cités est celui du peintre David, son Serment du Jeu de Paume montre un des moments clé de la Révolution, représenté avec un aura presque religieuse.

Jacques-Louis David, Le Sermen du Jeu de Paume, musée Carnavalet, Paris

Jacques-Louis David, Le Sermen du Jeu de Paume, musée Carnavalet, Paris

Une des techniques les plus utilisées était celle des cortèges (p. 542). Cette technique consistait en la combinaison de diverses production de peinture et de sculpture, avec des cortèges et des cérémonies colorées, des parades en musique, et la récitation de discours, poèmes, la représentation de pièces de théâtre et de spectacles pyrotechniques. Les cortèges pouvaient être de trois sortes : les fêtes funéraires pour les héros jacobins, les fêtes religieuses (fête de l’Être Suprême) et les célébration des victoires republicaines.

Dowd donne un exemple de ce dernier type : la célébration de la capture de Toulon face aux royalistes et aux anglais, le 24 décembre 1793. L’organisation du cortège a été confiée à David, qui a mis l’accent sur le tribut aux soldats blessés, plutôt qu’aux généraux victorieux.

Gravure du siège du Toulon, 1793

Gravure du siège du Toulon, 1793

La fête a eu lieu le 30 décembre. À sept heures du matin, un tir d’artillerie a marqué le début de la cérémonie dans le Jardin des Tuileries. Le cortège a été ouvert par les représentants des 48 sections de Paris et des 14 armées de la République. En suite défilaient les voitures avec les soldats blessés, portant les drapeaux et insignes capturés, entourés par des filles habillés en blanc. A continuation marchaient les représentants des sociétés populaires avec leur drapeaux, les membres de la Convention Nationale et des officiers du gouvernement civils. Le cortège était clôt par une escorte militaire. Parmi tout le cortège, des statues de la Liberté, des bonnets rouges, des fasces, des drapeaux tricolores, une reproduction d’un bateau et d’autres symboles se mêlaient aux participants. Le cortège traversa la Seine et a finalisé son parcours au Champ de Mars, où un banquet a été offert aux soldats blessés.

Dowd note la coïncidence que Napoléon s’est distingué dans la prise de Toulon. Il note ce que paraît être une politique dans les cérémonies politiques, consistant à minimiser l’espace à l’armée.

Une des techniques les plus utilisées était celle des cortèges (p. 542). Cette technique consistait en la combinaison de diverses production de peinture et de sculpture, avec des cortèges et des cérémonies colorées, des parades en musique, et la récitation de discours, poèmes, la représentation de pièces de théâtre et de spectacles pyrotechniques. Les cortèges pouvaient être de trois sortes : les fêtes funéraires pour les héros jacobins, les fêtes religieuses (fête de l’Être Suprême) et les célébration des victoires républicaines.

Il voit dans ce trait le signe du changement de régime. Si sous la monarchie l’armée et l’église constituaient les piliers du gouvernement, sous la Révolution aucun d’eux est présent dans les festivals. Les généraux victorieux ne sont pas reconnus publiquement, ni des cérémonies religieuses (des messes ou des Te Dei) sont exécutées. C’est pour cette raison, il argumente, que quelques années plus tard un militaire, le général Napoléon, reprendra le pouvoir à travers un coup-d’état.

Procession de la déesse Raison

Procession de la déesse Raison

La première commission

Tuetey, Alexandre et Jean Guiffrey, éd. La Commission du Muséum et la création du Musée du Louvre (1792-1793). Archives de l’art français. Recueil de documents inédits publiés par la Société de l’histoire de l’art français Nouvelle période. Tome III. Paris: F. de Nobele, 1909.

Ce volume est une collection de « pièces administratives » de la première commission du Muséum, fondée en septembre 1792 par Jean-Marie Roland, alors ministre de l’Intérieur. Elle est formée par les artistes Jean-Baptiste Regnault, François-André Vincent, Jean-René Jollain et Pierre Cossard, ainsi que par le miniaturiste Pierre Pasquier et le mathématicien Charles Bossut. Les auteurs sont deux monstres des archives français du début du XXᵉ siècle : Alexandre Tuetey et Jean Guiffrey : le volume est disponible ici. Le père d’A. Tuetey, Louis, avait déjà publié les Procès-verbaux de la Commission des monuments et les Procès-verbaux de la Commission temporaire des arts. Ils sont donc, des spécialistes de l’art au temps de la Révolution.

Dans les premières huit pages de ce recueil, Tuetey et Guiffrey offrent un préface où ils exposent l’état du débat. Il faut dire que l’apport de Tuetey et Guiffrey a été de la plus grande importance, puisque l’historiographie autour de la fondation du Musée du Louvre se réduisait à des spéculations, faut de documents d’archive, et à un discours très incliné à donner raison à la version donnée à l’époque par le peintre Jacques-Louis David. David a réussit à faire supprimer cette commission, ainsi que la Commission des monuments qui a opéré entre 1791 et 1794 dans l’administration des biens artistiques.
Le peintre Jacques-Louis David

Le peintre Jacques-Louis David

Ils signalent certains auteurs, comme Louis  Courajod (dans son œuvre Alexandre Lenoir, son journal et le Musée des monuments français. 3 vol. Paris: H. Champion, 1878), qui considéraient cette commission comme une « grotesque association d’incapables » qui « géra tranquillement le Muséum depuis la fin de l’année 1792 jusqu’au 27 nivôse de l’an II [16 janvier 1794] ». Ils reprennent, en fait, les critiques formulées par David, qui étaient exactement les mêmes qu’il avait fait contre la Commission des monuments. Ce sont les mêmes critiques exposées par J.B.P. Lebrun dans ses Réflexions sur le Muséum national, qui a été un des grands critiques de Roland, depuis que ce ministre n’a pas voulu le nommer à la Commission du Muséum.

Le volume reproduit 218 documents concernant la Commission du Muséum. Ils sont datés depuis le 16 septembre 1792, jusqu’au 15 vendémiaire an III. On y trouve des décrets, des lettres, des instructions et très intéressant, des catalogues. Dans la partie finale du document, en plus de la classique « Table alphabétique des nombs », il se trouve aussi une « Classification des documents » par sujets. Les documents sont signalés selon ils sont

  1. Décrets et rapports. – Nomination et départ des commissaires. – Attaques contre la Commission du Muséum. Défense. – Considérations générales.
  2. Recherche et livraison des tableaux et des objets d’art devant être exposés au Muséum
  3. Restauration des tableaux
  4. Ouverture et aménagement intérieur du Muséum. – Garde. – Comptabilité
  5. Affaires diverses

Cette classification nous laisse voir les critères qui ont conduit la recherche menée par Tuetey et Guiffrey aux Archives Nationales. Parmi les documents, on y trouve la controverse entre J.B.P. Lebrun et le ministre Jean-Marie Roland. Quoique la motivation de Lebrun était le rejet de Roland, la discussion qu’ils ont soutenue a porté sur la conservation de tableaux et sur l’arrangement des tableaux dans le Musée du Louvre. Un autre document intéressant est le catalogue des 125 tableaux trouvés à la Surintendance de Versailles et transportés au Musée du Louvre.

Enfin, d’autres documents qui apportent des informations biographiques des commissaires et d’autres artistes de l’époque.