Gargantua à Liliput

Résultat de recherche d'imagesShafak, Elif. Lait noir. Valérie Gay-Aksoy (trad.). 10/18 Domain étranger. Paris : Phébus, 2009, 352 pp.

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Dans le folklore turc, le lit des accouchées récentes est décoré des cordes aux colifichets en verre, de petits sacs remplis de cumin et des clochettes. Au moins deux vieilles femmes montent garde afin d’éviter que les mauvais djinns s’emparent de la jeune mère. Quand ils essaient de se l’approprier, ils tirent fortement des cordes du lit : les grelots sonnent, le cumin se répande au sol et les vieilles dans l’habitation tirent de l’autre bout. Le combat dure quarante jours et si les vieilles ne cèdent pas, les djinns se fatiguent et peu à peu quittent les lieux. Mais si les mauvais génies le remportent, le lait de la mère commence pour s’épaissir et se cailler jusqu’à prendre une couleur noire. Son cœur finit par pourrir et elle devient la proie des djinns. Elif Shafak tire le titre de son livre de cette croyance populaire : Lait noir.

C’est une tâche difficile de dire à quel genre classer Lait noir. « Ce livre n’est pas un roman », affirme l’auteur dans une épigraphe (p. 33). Est-ce un essai ? De la fiction, de la fantaisie ? C’est que ce livre, c’est un texte ambigu lu à plusieurs vitesses : légèrement ou sérieusement, de l’érudition aux anecdotes. La première impression nous dit que c’est une autobiographie, car le récit oscille de la première à la troisième personne, les souvenirs se succédant aux biographies et aux dialogues absurdes.

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Elif Shafak. Source

Dès les premières pages, Shafak explique la raison pour publier Lait noir. Il résulte de la dépression postnatale qu’elle a subi après la naissance de sa fille en 2006. En effet, ce livre sert de prétexte pour réfléchir sur le besoin d’écrire ; après un certain temps — dix mois —, devant la terrible expérience de la dépression et la responsabilité d’être mère, ce besoin s’est imposé chez Shafak avec force et comme une source d’inspiration.

Le point de départ du livre c’est la perfection exigée par la société aux femmes, et plus particulièrement aux mères : elles n’ont pas le droit à se tromper. Cela est le produit de l’impossibilité de dire du mal de la maternité, car on ne considère que le côté aimable et heureux. Entre ironie et tristesse, Shafak imagine un jeu cruel dont le score évalue les erreurs commises par les mères en prenant soin de leurs bébés (p. 285) :

  • Prendre brusquement bébé de son berceau et provoquer chez lui des vomissements : -15 points
  • Houspiller et morigéner les autres pour se dédouaner de ses propres erreurs : -25 points
  • Ne pas se sentir à la hauteur : -30 points
  • Paniquer dès que bébé se met à pleurer et faire redoubler ses pleurs : -50 points
  • Comme bébé pleure de plus belle, éclater à son tour en sanglots et ne plus pouvoir s’arrêter alors même que bébé s’est déjà calmé : -70 points

De la même façon qu’une dépression constitue une étape obscure entre deux moments au moins normaux, Shafak décide que Lait noir soit un témoignage destiné à disparaître (« Ce livre a été écrit pour être oublié sitôt lu », p. 9). C’est le récit de la traversée du purgatoire. Enfin, c’est l’histoire d’une « saison éphémère » (p. 10).

Cependant, cette approche donne lieu à des incohérences. Kate Clanchy, critique littéraire du journal The Guardian, remarque que pour être un livre sur la dépression postnatale, Lait noir dédie très peu de place à cette maladie : seulement quelques pages dans les chapitres finaux sous la forme d’une allégorie parmi autant d’autres employées dans le livre. Dire plutôt que c’est un récit des origines de la dépression de Shafak et non de la maladie elle-même serait donc plus exact.

Lait noir a le mérite de souligner l’aspect universel de la maternité. Cela veut dire que Shafak se présente comme une personne dont il se trouve être une femme, telle une écrivaine qui découvre d’autres traits de sa féminité grâce au fait de devenir mère. Cette réflexion naît de la question posée lors d’une conversation avec la doyenne des belles-lettres turques Adalet Agaoglu (n. 1929) : est une femme capable de mener en même temps et avec succès la maternité et une carrière littéraire ? (Lait noir, p. 56). Pour répondre, Shafak s’interroge à propos des possibles rapports entre grossesse et l’art d’écrire par deux voies : la première introspective et personnelle, en détaillant ses réactions et pensées, la seconde externe et historique, à travers des exemples de biographies d’auteurs célèbres.

Shafak commence par montrer son « monde intime », c’est-à-dire plusieurs aspects de sa personnalité avant, pendant et après que la maternité est devenue une vraie option dans sa vie. Pour cela, elle met en scène ce qui constitue sans doute la qualité formelle la plus distinctive du livre : un « chœur de voix intérieures ». Composé par des femmes miniature imaginaires, ce « harem interne » incarne plusieurs aspects du caractère de l’auteur. Nous rencontrons alors Miss Cynique Intello, Miss Ego Ambition, Miss Intelligence Pratique, Dame Derviche, Maman Gâteau, ou Miss Satin Volupté. Leurs dialogues absurdes, leurs débats et bagarres — parfois à coups de poing — peuvent amuser et atteindre une certaine profondeur et subtilité.

Clanchy signale que, contrairement à ce qu’il prétend, le chœur de voix intérieures tourne au détriment de l’aspect intime du récit. Les femmes miniature apparaissent dans les moments où Shafak se sent menacée ou inconfortable. De plus, toute allégorie représente un état d’âme différent à celui de l’auteur, alors Shafak finit par révéler moins d’elle-même que ce qu’elle voulait.

Le second chemin explore de manière plus ou moins savante d’un choix de biographies de femmes de lettres ; plus précisément, de l’attitude de quelques-unes vis-à-vis de la maternité. Nils C. Ahl, critique au Monde, affirme que « la littérature n’est rien d’autre qu’un être humain qui écrit ». À partir de cette idée, on peut dire que l’exercice collectif de rédaction est au cœur de cet art et il prolonge cet « être humain qui écrit ». D’après Ahl, Shafak s’approprie d’« un moi universel, d’un moi qui écrit, celui de l’auteur, mais pas seulement – celui de Virginia Woolf, de Sylvia Plath, de Simone de Beauvoir, et de nombre d’autres femmes écrivains » et dont elle fait partie à travers son travail quotidien. En effet, dans les pages de Lait noir se succèdent des auteures réelles ou fictives — depuis Firuze, sœur hypothétique du poète turc Fuzuli (1494-1556), jusqu’à J.K. Rowling (1965), en passant par Sofia Tolstoï (1844-1919) ou Virginia Woolf (1882-1941) —, toutes avec une réponse personnelle à la maternité qui va du rejet absolu à la soumission, la surprise ou encore l’acceptation involontaire.

Cependant, Clanchy remarque que le choix d’auteurs majoritairement est d’origine occidentale et Shafak s’efforce de les accorder à son récit de la même manière qu’elle le fait avec ses femmes miniature. Par exemple, lors d’un banquet imaginaire entre les écrivaines Simone de Beauvoir (1908-1986), Yuki Tsushima (1947-2016) et Sevgi Soysal (1936-1976), où elle les fait partager des positions inconciliables dans la vraie vie (Lait noir, pp. 162-166). Difficilement, affirme Clancy, de Beauvoir pourrait admettre que toute réponse à une question est appropriée.

D’après Clanchy, Shafak oublie que de la même façon que le monde de la maternité, celui de la dépression postnatale n’est pas lilliputien comme ses femmes miniature, mais gargantuesque ; ce n’est pas le point de faire le portrait de poupées, mais de reconnaître des monstres. « Les problèmes de la maternité et de l’individualité sont plus grands, plus politiques, plus viscéraux et intimes » que le récit de Lait noir. Malheureusement pour Shafak, d’un côté l’hétérogénéité de styles en si très peu d’espace fait le message difficile à comprendre — cela vaut la peine de se soucier, ou c’est juste un conte à dénouement heureux ? — . De l’autre, son obsession pour raconter sa vie en bagarres entre lutins de caricature ne rend pas service au lecteur. D’où le fait de réserver une place si petite aux hommes — une seule page à la fin du livre, dans l’épilogue clôt par la phrase bienveillante « donnerait pour un autre livre » (p. 347) — malgré l’intention de présenter la maternité comme une expérience universelle.

Pour finir, Lait noir offre quelques fragments brillants par sa forme. Par exemple, le chapitre à propos de Firuze (« La sœur de Fuzuli », p. 57-67), la sœur fictive du poète turc Fuzuli (1483-1556) c’est un de ces éclats. Pour l’écrire, Shafak s’est inspiré de l’essai de Virginia Woolf A Room of One’s Own, où Woolf imagine Judith, la sœur de Shakespeare, afin d’illustrer la destinée d’une femme aussi compétant qu’un homme. Un autre exemple c’est le chapitre « Ce que savent les pêcheurs ». Dans à peine une dizaine de pages l’auteur va d’une réflexion sur Sofia Tolstoï, à une scène absurde entre les femmes miniatures, en passant par une touchante description du lever du soleil à Istanbul et une belle parabole sur les pêcheurs qui explique l’effort quotidien d’écrire malgré de maigres résultats (Lait noir, p. 107-119).

Christophe Frey, Estambul. Source

C’est un autre fragment que je veux garder, un paragraphe sur Istanbul, dont on dirait une carte postale de n’importe quelle mégalopole comme Sao Paulo, Mexico, Le Caire ou New Delhi. Ce passage montre, encore une fois, la capacité d’Elif Shafak pour s’adresser à des lecteurs de tout le monde :

Des gens qui s’agitent de tous côtés, des bus pleins à craquer, des bâtisses tristes à pleurer, des rues étriquées, des étals ambulants inondés de contrefaçons de Gucci, de Versace bon marché ; des enfants des rues armés d’un chiffon sale qui essaient de grappiller quelques sous en nettoyant les vitres des voitures ; des agents de la police municipale, las et blasés de faire la chasse aux marchands ambulants ; des panneaux publicitaires vantant les fabuleux produits d’une existence radieuse ; une ville ni moderne ni traditionnelle qui tâche d’opérer la synthèse entre ses contradictions, des embouteillages, des tuyaux qui éclatent… Des Stambouliotes qui la mettent à mal et Istanbul qui tient le coup malgré eux, et puis un perpétuel chaos, rien qu’un perpétuel chaos… Voilà ce que je vois quand je regarde autour de moi. Qu’attend-elle donc que je dise ?

Liste d’auteurs cité.é.es par Elif Shafak

  1. Friedrich Nietzche (épigraphe p. 21)
  2. Adalet Agaou (1929)
    • Se coucher pour mourir 1973
    • Non, 1987
    • Un été romantique à Vienne, 1993
    • « Deux feuilles », nouvelle, Siècle 21, n 8, Esprit des Péninsules, 2006
  3. Fuzuli (ca. 1480-1556), pseudonyme de Mehmet Bin Süleyman
  4. Leylâ ve Medjnûn.
  5. Virginia Woolf
  6. Firuze (sœur fictive de Fuzuli)
    • Une chambre à soi
  7. Hafiz (1325-1389), poète
  8. Nesimi (fl. 1339-1344, probablement décédé en 1418), poète
  9. Namik Kemal (1840-1888), poète, journaliste, romancier et dramaturge
  10. Musa Kâzim, grand mufti d’Istanbul
    • Liberté-Egalité
  11. Fatma Aliye (1862-1936), première femme romancière turque
  12. Ahmed Midhat (1844-1912), romancière et journaliste
  13. Nadine Gordimer
  14. Margaret Atwood
  15. Anita Desai
  16. Jhumpa Lahiri
  17. Ann-Marie Mac Donald
  18. Maureen Freely
  19. Halide Edip Adivar (1884-1964), romancière, dramaturge et traductrice
    • Rue de l’épicerie aux mouches
    • La Maison aux glycines
    • Handan
  20. Sevgi Soysal
    • Tante Rose
    • L’Aurore
  21. Şebnem İşigüzel (1973)
  22. Feride Çiçekoğlu (1951)
  23. Ursula K. Le Guin
  24. Emily Dickinson
  25. Charlotte Brontë
  26. Dorothy Parker
  27. Lillian Helman
  28. Patricia Highsmith
  29. Iris Murdoch
  30. Jeanette Winterson
  31. Zadie Smith
  32. Amy Tan
  33. Kiran Desai
  34. J.K. Rowling
  35. Toni Morrison
  36. Sylvia Plath
    • Ariel
  37. David Rieff
  38. Susan Sontag
  39. Guy Raphael Johnson
  40. Maya Angelou
  41. Muriel Spark
  42. Pearl S. Buck
    • The Good Earth (trilogie)
    • This Proud Heart
    • The Townsman
  43. Iris Murdoch
  44. John Bayley
  45. Ludwig Wittgenstein
  46. Ömer Seyfettin (1884-1920)
    • L’Étrille
  47. Walter Benjamin
  48. León Tolstoï
  49. Sofia Adreïevna Bers, femme de Tolstoï et sa secrétaire personnelle. Elle n’a pas laissé d’œuvre écrite, mais elle était chargée de transcrire plusieurs fois les romans de son mari.
  50. Ted Hughes
  51. Mary Ann Evans, alias George Eliot
  52. Nihal Yeğinobalı, alias Vincent Ewing
    • Young Girls
  53. Amantine Aurore Lucile Dupin, alias George Sand
  54. Jane Austen
  55. Anaïs Nin
  56. Simone de Beauvoir
    • Le Deuxième sexe
  57. Jean-Paul Sartre
  58. Raymond Aron
  59. Yuko Tsushima
    • L’Enfant de fortune
  60. Julia Kristeva
  61. Zelda Sayre Fitzgerald
  62. Francis Scott Fitzgerald
    • The Great Gatsby
  63. Ernest Hemingway
  64. Alissa Zinovievna Rosenbaum, alias Ayn Rand
    • The Fountainhead
    • Atlas Shrugged
    • Hymne
  65. Doris Lessing
  66. Emine Semiye

 

Collectionneur ou archéologue

Alain Schnapp, « Introduction. L’archéologie et la présence du passé », La conquête du passé. Aux origines de l’archéologie. Paris: Carré, 1993, 11-38

Alain Schnapp, archéologue français né en 1946, est considéré aujourd’hui une des grandes autorités dans son champ. Élève de Paul Vidal-Naquet, Schnapp est professeur d’archéologie grecque à l’Université Paris 1 et il a été directeur de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA). La conquête du passé est l’un de ses livres le plus connus et il y présente une longue et riche réflexion sur l’histoire de l’archéologie et son rapport à l’histoire.

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Piero di Cosimo, Vulcain et Éole éducateurs de l’humanité, ca. 1495-1500. Source

Le colectionneur

Dans l’introduction, Schnapp fait un commentaire des liens en commun entre l’archéologie et le collectionnisme et il met en place le cadre théorique pour développer le reste du livre. Le collectionnisme est un phénomène culturel diffusé dans toutes les civilisations. D’une manière ou d’une autre, toutes les sociétés ont développé un type de collection. D’habitude, c’est à l’histoire de l’art qui intéresse l’étude de ce phénomène, mais Schnapp démontre que l’archéologie aussi peut l’étudier et donner de nouveaux ponts de vue : au fond, l’archéologue a beaucoup d’un collectionneur.

Pour Alain Schnapp le collectionnisme et l’archéologie sont deux manières de « maîtriser » le passé. Ni l’archéologue ni le collectionneur donnent trop d’importance à l’ancienneté réelle ou présumée des objets : c’est qui est important est le statut de l’objet collectionné, sa mise en perspective, la manière de le conserver, l’exposer ou le protéger du public (p. 12). Une grande différence entre les deux personnages se trouve dans leur autonomie : tandis que le collectionneur est livré à ses propres ressources, l’archéologue doit rendre compte à l’État et au public (p. 13). D’où les activités de l’archéologue soient, normalement, financés par des institutions publiques. Et aussi pourquoi l’activité archéologique soit mise en rapport avec des efforts de légitimation historique.

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L’armée en terre cuite de l’empereur Qin Shihuang, IIIe siècle av. J.-C. Source

De plus, même si tous les deux étudient la mémoire, ils le font depuis des perspectives différentes :

Pour s’établir et durer, la mémoire a besoin du sol. Que le récit soit inscrit dans la pierre, la brique ou le parchemin, coulé dans les mémoires par l’art des bardes ou des poètes, le récit de fondation doit s’appuyer sur un support territorial, appeler une réalité scellée dans le sol.

(…) frontière subtile qui sépare l’archéologie de la collection : il ne suffit pas pour l’archéologue que les objets fassent sens, il faut les rapporter à un lieu, à un espace, à des pratiques qui les font singuliers, assignables, interprétables (p. 25).

L’archéologue

L’archéologie est une science des objets et de leur interpréation, et elle s’intéresse en particulier à ceux objets qu’ont cessé d’être des signes du pouvoir. Quand ils perdent ce statut, les objets deviennent des élements de l’histoire et c’est alors qu’ils deviennent l’objet d’étude de l’archéologie (p. 27-28). La méthode archéologique a évolué de la main de l’histoire. Schnapp distingue trois étapes de cette évolution (p. 36) :

  1. Pendant le XVIᵉ et le XVIIᵉ siècles, les objets étaient des sources historiques, directes, palpables, indiscutables, des machines à remonter le temps. Pour cette raison il faut voir et décrire l’objet in situ, directement dans le lieu où il se trouve ; il faut le mesurer, dessiner son anatomie. Par exemple, l’antiquaire Ole Worm écrit en 1638 une lettre à l’évêque Stavanger demandant un étudiant pour décrire une série d’objets.
  2. Pendant el XVIIIᵉ siècle, l’archéologie évolue grâce aux études des érudites tel le comte de Caylus : la comparaison par aproximation et les effets du contact avec la nature.
  3. Au XXᵉ siècle, l’arrivée de la stratigraphie permet une troisième évolution.

Mais avant le XVIᵉ siècle, beaucoup avant, il existait déjà une réflexion sur l’activité archéologique. Dans Les lois, Platon affirme que les civilisations anciennes ont disparus après un cataclysme, mais quand les survivants ont trouvé ensevelies quelques unes des outils des ancêtres, il sont réappris petit à petit à les utiliser, et alors l’agriculture et l’élevage sont renées. Ce récit conçoit l’évolution sociale liée au sol et aux vestiges trouvés sur lui. Plus tard, Thucydide a formulé la règle de base consistant en observer et comparer afin d’attiber correctement les objets trouvés ensevelis aux sociétés passés (p. 26).

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Liste des rois de Larsa. Musée du Louvre. Source

L’activité archéologique la plus ancienne de laquelle on en a des preuves, a été registré sur une tablette cunéiforme à Larsa, en Irak. Datée du VIe siècle av. J.-C., le texte de la tablette est un témoignage du soin des babyloniens pour établir « le souci de légitimité historique et la volonté de continuité dynastique » (p. 13). En particulier, il s’agit du roi Nabonide, qui avait ordonné la recherche de monuments certifiant son appartenance à l’ancienne continuité de souverains. De cette manière, les fouilles et les trouvailles réalisées pendant son royaume, n’ont seulement servies pour trouver la mémoire qui le légitime sur le trône, mais aussi pour la mettre en marche (p. 18). Quand Nabonide avait trouvé le temple de ces ancêtres, non seulement il l’a restauré, mais il a aussi ajouté des éléments propres. De cette manière, il a fait du passé un lieu vivant pour le maîtriser, et il s’est assuré un lieu dans le futur, car les éléments ajoutés par lui seraient contemplés comme la marque que lui-même a laissé pour la postérité (p. 18).

L’idée de s’assurer un lieu dans le futur apparaît aussi dans l’architecture égyptienne et chinoise. Les pyramides et les mausolées de ces deux cultures ont été bâtis pour résister au climat, aux catastrophes naturelles et à d’autres démolisseurs potentiels. Mais surtout, pour cacher les richesses qui accompagnent le défunt : « Dans la tombe le monument s’affiche et les objets se cachent, mais leur présence est évidente » (p. 19).

En Grèce, la recherche de la pérennité a eu lieu dans les arts plastiques. Mais l’innovation grecque consistait à étendre la recherche des créations immatérielles. Pindare, par exemple, a opposé la mémoire – plus précisément « l’autonomie de la mémoire » – aux monuments matériels : un poème, il affirme, possède un caractère incorruptible (p. 23). De l’autre côté du monde, les habitants des îles Nouvelles-Hébrides ont eux aussi cherché la pérennité à travers la mémoire : l’histoire du colonisateur primitif Roy Mata a été conservé dans un poème épique transmis de génération en génération. Grâce à ce poème, l’archéologue José Garanger a été capable de retrouver le tombeau du roi mythique Roy Mata (p. 24).

Le grand débat

David Brading, « Chap. 4 The Great Debate », The First America. The Spanish Monarchy, Creole Patriots, and the Liberal State 1492-1867. Cambridge: Cambridge University Press, 1991, pp. 79-101

Dans le chapitre 4 de son livre The First America, David Brading adresse l’histoire du débat le plus important de la colonisation espagnole en Amérique : fray Bartolomé de Las Casas et Juan Ginés de Sepúlveda étant les plus importants représentants de ce débat, on peut affirmer qu’ils ont marqué la politique, le droit et les échanges internationaux jusqu’à aujourd’hui.

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Portrait de Juan de Sepúlveda. Source

Brading expose les précédents les plus importants et s’arrête dans les arguments les plus significatifs. De la même manière qu’il avait fait dans les premiers chapitres avec les chroniqueurs, Brading distingue deux positions : les auteurs influencés par la philosophie du nord de l’Europe, en particulier des érasmistes comme Thomas More ou Juan Luis Vivès, qui trouvaient peu de profit ou d’honneur dans la guerre, et les humanistes du sud, tels que Ginés de Sepúlveda o Gómara, empressé pour célébrer les exploits des soldats et des rois (p. 86).

La première défense bien articulée de la justice de la conquête a été formulée par Juan López de Palacios Rubios (1450-1524), dans son traité De las islas del mar Océano. Docteur ès droit canonique, Palacios Rubios base sa défense sur la théologie scolastique, les œuvres d’Aristote, Thomas d’Aquin (en réalité sur De regimine principium, œuvre de Ptolomée de Lucques, attribué à D’Aquin) et sur John Mair, professeur à la Sorbonne. Palacios Rubios affirmait que les indigènes étaient bien des hommes libres, mais qu’ils étaient gouvernés par leurs passions. Ainsi, la conquête se justifiait par le besoin de pourvoir aux indigènes avec un gouvernement juste (p. 80). Basé sur les travaux du canoniste Henri de Suse et du théologien Augustin d’Ancône, il affirmait aussi la légitimité de la donation alexandrine, car le Pape était l’autorité suprême de tout le christianisme. Cela lui donnait le pouvoir de dépouiller les rois païens de ses terres et assurer de cette façon que la population se convertisse au christianisme (p. 81).

Palacios Rubio était aussi l’auteur du Requerimiento, une aberration juridique consistante à lire aux indigènes américains une exhortation afin de reconnaître le roi espagnol comme leur souverain légitime. Brading signale que dans le texte du Requerimiento, le Christ n’est pas mentionné, ce qui s’explique par l’importance attribuée aux fonctions du pape (p. 81).

Les critiques les plus importants de la conquête ont été, sans doute, les adeptes d’Érasme de Rotterdam et de Thomas More. L’un d’entre eux, Juan Luis Vivès, fit publier en 1529 une œuvre intitulée Concordia et discordia dédiée à Charles V, dans laquelle il critique la grande violence de la conquête et de la colonisation (p. 82). L’œuvre de Vivès était très influencée par celle d’Augustin d’Hippone ; mais contraire à celle d’Augustin, Vivès plaçait la justice au centre de la vie publique. Il prenait les héros républicains romains comme modèles de vie au service de l’État (p. 83).

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Portrait de Juan Luis Vivès. Source

Dix ans plus tard, en 1539, Francisco de Vitoria fit publier sa Relectio de Indis, dans laquelle il reprend la philosophie thomiste et l’emploi pour analyser la conquête de l’Amérique. Vitoria développe un argument philosophique profond sur l’égalité entre les chrétiens et les païens, en partant de l’argument thomiste selon lequel la grâce et la nature sont complémentaires. Cette prémisse élimine la dualité chrétien-païen puisque, au moment de la mettre en œuvre, les sociétés païennes ne sont pas réduites à leur religion, mais plutôt complétées par leurs systèmes politique et social (p. 83). Cette argumentation permet aussi d’éliminer les objections autour de l’idolâtrie et de la monarchie absolue du pape. Vitoria avait trouvé dans la jurisprudence romaine les principes d’application de la loi naturelle permettant la vie en commun entre toutes les nations, même les Américaines ; mais il a aussi trouvé les principes pour que les nations chrétiennes soient autorisées à prédiquer l’Évangile, protéger les chrétiens et combattre les conduites contraires à la loi de la nature (p. 84). En conséquence, la seule justification de la présence espagnole en Amérique était la prédication de l’Évangile et l’enseignement des « arts de la civilisation ». Le mérite de cette argumentation se trouve en déplacer le centre de discussion de la nature des indigènes vers la qualité de la société indigène (p. 85).

La figure de Ginés de Sepúlveda reste trop dans l’obscurité. D’après Brading, malgré sa vision négative de la société indigène, il faut lui reconnaître que sa description s’attache strictement aux principes humanistes (p. 87). Au contraire de ce qu’on pense, Sepúlveda n’a pas demandé de réduire en esclavage les indigènes, et non plus a approuvé les crimes des conquistadores ; mais dans sa logique humaniste, il était impossible de ne pas souligner la servitude comme destin des indigènes, et la vertu comme trait des Espagnols (p. 88).

Parmi tous les ouvrages de cette période discutant la justice de la conquête, la plus importante est, sans doute, l’Apologética historia sumaria par fray Bartolomé de Las Casas. Publiée en 1536, cette œuvre est considérée le premier essai d’anthropologie comparée. Las Casas reprend l’information d’œuvres classiques européennes et de chroniqueurs américains, établissant un cadre théorique lui permettant d’analyser les sociétés non chrétiennes (p. 89).

Dans son Historia de las Indias (1517), Las Casas avait essayé de montrer la valeur de la culture indigène tout en justifiant la présence espagnole en Amérique. Il faut rappeler que la couronne avait financé un projet de Las Casas à Cumanà, et il avait échoué. Brading explique que pour cette raison Las Casas avait « assumé une ingénuité théorique » (p. 46) ; cela veut dire que l’argumentation de Las Casas se basait sur la donation du pape en 1493. Si Vitoria affirmait que le Pape n’avait pas de pouvoir temporel, d’après Las Casas il avait le pouvoir spirituel. Puisque le pape avait pour paroisse le monde, alors le roi espagnol avait le droit de prédiquer la religion chrétienne avec l’autorisation du pape (p. 95). De cette façon, la donation papale se définissait par la création d’un nouveau Saint-Empire dans les Indes, de la même manière qu’on avait créé le Saint-Empire romain germanique au VIIIe siècle et que l’on avait couronné empereur Charlemagne (p. 96).

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Jean Théodore de Bry (grav.), Bartolomé de las Casas (texte), [Illustrations de Narratio regionum Indicarum per Hispanos quosdam devastattarum], Planche 50. Source

À la fin de sa vie, son œuvre Los tesoros del Perú, il continuait à défendre la présence espagnole, mais utilisant un argument radicalement différent : le consentement populaire. D’après Las Casas, aucun roi ne peut aliéner la souveraineté sans consulter son peuple. Pour cette raison, ni Moctezuma ni les rois incas ne pouvaient céder le royaume sans avoir obtenu l’approbation populaire (p. 97). La violence avec laquelle les Incas et les Aztèques avaient été conquis, et qui continuait, justifiait la dévolution de deux souverainetés (p. 98).

En résumé Brading explique que la particularité de Las Casas réside en ce qu’il a repris la philosophie de Cicéron afin de placer la justice au centre de la communauté chrétienne ; en même temps, il a rejeté la doctrine augustinienne sur l’accord de volontés. La théorie de Vitoria, reprise par Las Casas pour défendre les droits des peuples indigènes, s’oppose à la théorie d’Augustin, ce qui a permis à Las Casas d’articuler sa défense des Indiens (p. 100).

Nous parlos de la Introduction et du Chapitre 1 par ici.
Le chapitre 2, c’est ici
Le chapitre 3, .

Le Statut portoricain

UnknownAlegría Ortega, Idsa E. La Comisión del status de Puerto Rico. Su historia y significación. Río Piedras: Editorial Universitaria, Universidad de Puerto Rico, 1982, ix, 214 pp.

Dans les études sur Porto Rico, un des sujets les plus débattus et celui de son statut politique. Malgré une certaine méconnaissance générale, l’histoire de l’île est assez compliquée et, pour la résumer, on peut se contenter de dire que le passage de la souveraineté espagnole à l’américaine, après la Guerre hispano-américaine de 1898, marque un des moments clés de son histoire. La documentation sur cet événement est très copieuse, mais en France elle reste assez inaccessible. Depuis le début du XXe siècle, le gouvernement américain, les autorités portoricaines et des experts dans des très différents terrains ont produit un corpus doctrinal et légal très vaste.

Le livre d’Idsa E. Alegría Ortega, issu de sa thèse doctorale, est une approche documentaire à une des étapes historiques les plus importantes de la discussion sur le statut de Porto Rico : la création, en 1964, d’une commission d’experts et de représentants des États-Unis et de Porto Rico. Alegría utilise une méthodologie traditionnelle : elle organise chronologiquement son exposé et le résume en citant les documents d’où elle tire les discussions.

Le livre est organisé en huit chapitres, mais nous pouvons les distribuer entre trois parties. La première, correspondant au premier chapitre, est un résumé des précédents historiques de la présence espagnole et américaine dans l’île. L’auteur passe en revue les lois et les réglementations les plus importantes depuis la fin de la guerre entre l’Espagne et les États-Unis, ainsi que les différents projets législatifs dans le Congrès américain ou impulsés par les représentants portoricains jusqu’à la Loi 600, de 1950.

La deuxième partie du livre constitue en fait le cœur du propos d’Alegría : les travaux de la Commission sur le statut. Après un rappel des différentes approches des politiciens portoricains à « la question du statut » (Chapitre II « El estado Libre Asociado: Teoría y Realidad »), on passe à l’histoire de la formation de la Commission (Chapitre III « Creación de la Comisión del Status »), un exposé sur le rapport final et les positions des différents partis politiques républicains (Chapitres IV et V).

Enfin, la troisième partie est constituée par les trois derniers chapitres et l’on voit mal leur articulation avec le propos principal annoncé dans l’introduction et dans le titre. Alegría y expose l’organisation du plébiscite de 1967, et passe ensuite à la formation du comité spécial sur le vote présidentiel des Portoricains et les discussions sur le Porto Rico au sein de l’ONU qu’elle essaie de montrer comme des conséquences des travaux de la Commission. On ne peut pas nier que ces thèmes soient intéressants et instructifs sur la situation portoricaine, mais au fil de la lecture, on reste avec l’impression qu’il s’agit d’une prise de position plutôt d’une militante, surtout quand l’auteur célèbre les successives efforts de l’ONU de continuer à considérer le cas de Porto Rico comme une colonie.

En effet, peut-être le défaut qu’on pourrait reprocher à l’œuvre d’Alegría soit l’impression de lire un ouvrage militant plutôt que scientifique. Certes, surtout dans la deuxième partie, l’auteur s’efforce de montrer tous les points de vue autour du travail de la Commission sur le statut. En montrant les lignes générales du rapport final de la commission, nous sommes amenés à travers les opinions des trois groupes politiques les plus importants ayant participé aux discussions : les partis indépendantistes, les partis en faveur de la constitution d’un état fédéré avec les EUA et les partis en faveur du perfectionnement de l’État Libre Associé. Cependant, ici et là se trouvent des jugements sur la façon d’agir des politiciens concernés : soit ils sont des collaborateurs des forces d’occupation américaine, soit ils sont des héros de l’indépendance portoricaine. La rédaction devient elle aussi difficile à cause de la grande quantité de citations in extenso et l’on a parfois l’impression que l’auteur s’est limité à copier les rapports et les documents administratifs.

Si, d’un côté, il est regrettable que l’exposé d’Alegría Ortega reste dans un niveau assez descriptif, et si nous ne prenons pas en compte la faible articulation de la troisième partie et faisons abstraction du langage partisan, nous pouvons dire que la vertu de ce travail est de mettre à porté de la main dans un seul volume, le résumé des documents très importants de l’histoire récente portoricaine.

Pour savoir davantage :

  • BARBOSA DE ROSARIO, Pilar, La Comisión Autonomista de 1896: historia del autonomismo puertorriqueño, San Juan, Imprenta Venezuela, 1957, 209
  • BERBUSSE, Edward, J., The United States in Puerto Rico, 1898-1900, North Carolina, Chapel Hill, 1966, 274
  • BERESFORD, S., « Commonwealth Status and Federal District Court », Revista del Colegio de Abogados de Puerto Rico, XIX, 1, noviembre 1957
  • BHANA, Surenda, The United States and the Development of the Puerto Rican Status Question 1936-1968, The University Press of Kansas, 1975, 290
  • BOTHWELL, R., Trasfondo constitucional de Puerto Rico, Río Piedras, Puerto Rico, Editorial Universitaria, 1969, 65
  • COLL Y CUCHÍ, Cayetano, La Ley Foraker, San Juan, Tipografía del Boletín Mercantil, 1904, 206
  • CORRETJER, Juan Antonio, La lucha por la independencia de Puerto Rico, Publicaciones de Unión del Pueblo Constituyente, San Juan, P.R., 1950
  • DAPENA, José A. Gautier, Trayectoria del pensamiento liberal puertorriqueño en el siglo XIX, San Juan, Instituto de Cultura Puertorriqueña, 1963
  • DÍAZ SOLER, Luis M., Rosendo Matienzo Cintrón. Orientador y guardián de una cultura, San Juan, Instituto de Literatura Puertorriqueña, 1960 (à propos de la perception de la Loi Foraker parmi les portoricains, p. 191-202)
  • FRIEDRICH, Carl J., Fuero fundamental, un logro ejemplar de Puerto Rico, Escuela de Administración Pública, Universidad de Puerto Rico, San Juan, 1959
  • GARCÍA PASSALACQUA, Juan M., « The Judicial Process in the Status of Puerto Rico », Revista Jurídica Universidad de Puerto Rico, 1961, Vol. XXX, Núm, 3-4, pp. 145-179
  • GARCÍA PASSALACQUA, Juan M., « Antecedentes e Historial Legislativo de la Comisión de los Estados Unidos y de Puerto Rico sobre el Status de Puerto Rico », Revista del Colegio de Abogados de Puerto Rico, mai 1964, XXIV
  • GOULD, Lyman, La Ley Foraker: raices de polìtica colonial de los Estados Unidos, Río Piedras, P.R. Editorial Universitaria, 1969
  • HAYDEN, Sherman S. et Benjamin Rivlin, Non-Self-Governing Territories: Status of Puerto Rico, New York, Woodrow Wilson Foundation, 1954, 23
  • HELFELD, David, « Congressional Intent and Attitude Toward P.L. 600 and Constitution of the Commonwealth of Puerto Rico », Revista Jur’idica de la Universidad de Puerto Rico, XXI, 4, mai-juin, 1952, 255-320
  • HERNÁNDEZ COLÓN, Rafael, « The Commonwealth of Puerto Rico: Territory or State? », Revista del Colegio de Abogados de Puerto Rico, mai 1959, XIX, nº 3, 207-259
  • MALDONADO DENIS, Manuel, Puerto Rico: una interpretación histórico-social, México, Siglo XXI, 1969
  • MONCLOVA, Lidio Cruz, Noticia y pulso del liberalismo puertorriqueño del siglo XIX, México, Editorial Orión, 1953
  • MORALES CARRIÓN, Arturo, Orígenes de las relaciones entre los Estados Unidos y Puerto Rico. 1700-1815, Santurce, Imprenta Soltero, 1952, 50
  • MOVIMIENTO PRO INDEPENDENCIA, La Hora de la Independencia. Tesis Política, San Juan, Puerto Rico, 1963
  • MOVIMIENTO PRO INDEPENDICA, Presente y futuro de Puerto Rico. La doctrina de la nueva lucha de independencia, Río Piedras, 1969
  • MUÑOZ AMATO, Pedro, et al., La Nueva Constitución de Puerto Rico, informes a la Convención Constituyente preparados por la Escuela de Administración Pública de la Facultad de Ciencias Sociales, Río Piedras, Ediciones de la Universidad de Puerto Rico, 1954
  • MUÑOZ MORALES, Luis, La opinión pública y las aspiraciones de los puertorriqueños, Editorial Universitaria, Universidad de Puerto Rico, Río Piedras, 1972
  • RAMOS DE SANTIAGO, Carmen, El gobierno de Puerto Rico (desarrollo constitucional y polìtico), Río Piedras, Editorial Universitaria, 1965
  • SMITH, Carlos, El Status Político de Puerto Rico. Una revisión interpretativa, Editorial San Juan, 1978
  • United Nations Commitee on Information from Non-Self Governing Territories, Non-Self Governing Territories. Cessation of the Transmission of Information: Communication from the Government of the U.S.A. Concerning Puerto Rico, 3 avril 1953
  • UNITED STATES-PUERTO RICO COMMISSION ON THE STATUS OF PUERTO RICO, Hearings before the United Stats-Puerto Rico Commission on the Status of Puerto Rico, Cong. 89, 2e session, Senate Document no 108, Washington D.C., 1965, 3 Vols. 563, 560, 779 pp.
  • UNITED STATES-PUERTO RICO COMMISSION ON THE STATUS OF PUERTO RICO, Informe Final de la Comisión de Estados Unidos y Puerto Rico para el Estudio del Status Político de Puerto Rico, Washington, D.C., US Government Printing Office, agosto, 1966, 282 pp.

Sources historiques

  • Informe de la Comisión de los Estados Unidos y Puerto Rico sobre el Status de Puerto Rico, (U.S. Government Printing Office, 1966)
  • MILES, Nelson W., Proclama del General en Jefe norteamericano a los habitantes de Puerto Rico, Cuartel General del Ejército, Ponce, Puerto Rico, 28 de julio de 1898

Foi et fame

Kelley Helmstutler di Dio, « Leone Leoni. Life and Works ». In Leone and Pompeo Leoni. Faith and Fame, 12‑23. Madrid: Coll & Cortés, 2013.

Lors de la rédaction de ma thèse, j’avais croisé Kelley Helmstutler di Dio (mon Dieu, j’adore la sonorité de son nom !), à propos du statut social des artistes et des collectionneurs (voir « Federico Borromeo and the Collections of Leone and Pompeo Leoni. A New Document ». Journal of the History of Collections 21, no 1 (2009) : 1‑15). A ce moment, je citais l’article de Helmstutler di Dio pour faire référence, très vite, du cas des artistes italiens Leone Leoni et son fils Pompeo.

Détail de l’autel exécuté par Leoni pour l’Escurial. Source

Quelques années plus tard, Kelley Helmstutler di Dio collabore à la rédaction d’une petite collection d’essais autour de ces deux artistes. Financé par la firme Coll & Cortés à l’occasion de l’ouverture de leurs bureaux londoniens, le volume a été dirigé par Rosario Coppel, et d’autres chapitres ont été rédigés par Margarita Estella.

Le premier chapitre du volume est consacré à la biographie de Leone Leoni. La vie de Leone Leoni pourrait, sans problème, donner lieu à des romans. Né à Arezzo vers 1509, il a reçu une formation d’orfèvre. Il s’est lié d’amitié avec Giorgio Vasari et Pietro Aretino. Entre 1524 et 1527, il a travaillé à Rome et a Venise. En 1537, il fait un séjour à Padoue, où il fait connaissance d’Antoine Perrenot de Granvelle et se fait ennemi de Benvenuto Cellini. En novembre 1538, Leoni est nommé graveur de l’hôtel de monnaies du pape Paul III. À Rome, il fait connaissance de Michel-Ange, Baccio Bandinelli et Perino del Vaga.

Leoni était connu par ses scandales. A Ferrara, il avait été accusé de contrefaçon en 1537. En 1540, il a été accusé d’attaquer et défigurer le bijoutier papal, Pellegrino di Leuti. Leoni a été condamné à perdre la main droite, mais grâce à l’intervention des amis puissants, dont l’Aretino, Francisco Doarte et l’amiral de la flotte impérial Andrea Doria, la sentence a été commutée pour les galères du pape. Quand la galère où Leoni purgeait sa peine fait escale à Gênes, Doria vient à son secours et réussi à le libérer. En 1544, Leoni fait un séjour à Venise, après avoir eu beaucoup de succès à Gênes. Après un nouveau scandale impliquant son assistant Martin Pasqualigo, Leoni déménage à la cour du Conte de Parma et Piacenza (p. 13).

Charles V et la Furie, bronze, Museo del Prado, Madrid

À Piacenza, il gagne la faveur du gouverneur de Milan, Ferrante Gonzaga, et il l’invite officiellement à la cour de l’Empereur en avril 1547. Il arrive à Bruxelles, siège de la cour, en 1549. En arrivant, Leone présent à l’Empereur des médailles avec les portraits de sa famille. Il semble que l’Empereur a particulièrement apprécié le portrait de son fils Philippe (p. 14-15). Avec les commandes de l’Empereur qui vont se suivre, commence une période très créative pour Leone. Helmstutler di Dio signale, en particulier, la création d’un buste, aujourd’hui au Museo del Prado, où, pour la première fois, la base est transformée en élément actif de la sculpture (p. 17), et un des projets les plus ambitieux, qui sera fini par son fils : une sculpture intitulée Charles V et la Furie. Le projet original de cette pièce ne contemplait que la figure de l’Empereur, mais au cours de son travail, Leoni ajoute la Furie vaincue au pied de Charles et, chose encore plus difficile, une armure amovible à volonté (p. 17).

Les scandales continuent, il serait trop long de les détailler. Le fait est que Leoni doit déménager à plusieurs reprises. Pendant les années 1580, il reçoit la commande de l’autel de San Lorenzo à l’Escurial. Il s’agit de la plus grande commande de bronzes pendant ce siècle. En 1581, Leone avait déjà envoyé vingt-sept caisses. En 1589, son fils Pompeo voyage à l’Escurial pour superviser en personne l’achèvement de l’œuvre.

Leone Leoni décède le 22 juillet 1590. Il est aujourd’hui enterré à l’église de Santa Maria della Scala, à Milan. D’ailleurs, il avait réuni une collection d’art très importante à son domicile de Milan. Pour se donner une idée de l’importance de cette collection, elle a été acquise par plusieurs princes, dont le roi Philippe III d’Espagne et plusieurs autres membres de la famille royale espagnole, l’empereur Rodolphe II d’Habsbourg, le neveu de ce dernier, Mathias, le roi Charles I d’Angleterre, le Grand Duc de Toscane, et encore le cardinal Federico Borromeo.

Lattuada_Serviliano_-_Descrizione_di_Milano_ornata_con_molti_disegni...,_Milano_1738,_p._444,_tomo_quinto

La Casa degli Omenoni, conçue par Leoni, dans la Descrizione di Milano de Serviliano, 1738. Source

Noël, les Trois Mages et Marco Polo

Vous auriez constaté que, dans mon cas, il est plus facile de parler que d’écrire. Malgré le peu d’activité dans mon blog, j’aime la lecture. J’adore la lecture. Le choix du titre n’est pas banal. Et surtout, en tant qu’étranger, j’aime parler la langue française. J’ai un peu plus du mal à l’écrit, mais je ressens quand même du plaisir.

Alors, tout ça pour vous dire que, même si je n’écris aussi souvent que je le souhaite, je lis, je lis beaucoup. Mais l’urgence de ma thèse m’empêchait de venir partager avec vous ce qui passe sous mes yeux. Or, ça fait deux semaines que j’ai fini ma thèse. À présent elle est déposée et j’attends avec impatience qu’on me fixe la date de soutenance. Je vous tiendrais au courant.

En principe, ce blog devra accueillir des lectures plus en rapport avec ma liberté retrouvée. Et les articles publiés sous la catégorie « Ma thèse sans fin… » devront être plus rares.

Ainsi, je voudrais tout relancer à partir d’un fragment que je viens de lire sur Il Milione, de Marco Polo, et très en rapport avec la saison, et que j‘avais précédemment publié sur mon autre blog, celui-ci en espagnol, Se destetó Teté, et que je traduis ici :

Abraham Cresques (attrib.). « Atlas de cartes marines, llamado [Atlas catalán] ». 6 hojas dobles de pergamino sobre placas de madero (recto y verso), 645 x 250 mm. BnF Département des manuscrits. Espagnol 30

Abraham Cresques (attrib.). Atlas de cartes marines, llamado [Atlas catalán]. 6 feuillets doubles de parchemin sur planche de bois, 645 x 250 mm. BnF Département des manuscrits. Espagnol 30. Cet atlas s’inspire partiellement des voyages de Marco Polo

Le récit du voyage de Marco Polo, reste un des plus fascinants. Depuis 1271, Marco entrepris un voyage de plus de 24 ans, en compagnie de son père et son oncle. Ils retournèrent à Venise chargés de richesses et Marco est devenu notable au sein du gouvernement vénitien.

Le récit de ce voyage fut mis en blanc et noir par Rustichello de Pise. Il a été publié avec le titre Le divisament du monde. Livre des merveilles du monde, mais en fin de comptes il est plus connu comme Il Milione. D’ailleurs, la version aujourd’hui considérée la plus fidèle se trouve dans la Bibliothèque nationale de Frace, et vous pouvez la télécharger ici. Marco et Rustichello se sont connus en 1298, quand le premier est fait prisonnier par les génois. Quant à Rustichello, ça faisait plus de dix ans qu’il était emprisonné. Auparavant, il avait écrit quelques romans de chevalerie en français et en provençal.

Dans les chapitres 30 et 31 de son livre, Marco Polo rapporte l’histoire de l’Adoration des Mages, assez curieuse :

Chapitre 30

À propos de la grande province de Perse. À propos des 3 mages

La Perse est, certainement, une grande et noble province, mais dès nos jours, les tartares l’ont dévastée. En Perse se trouve la ville appelée Saba, d’où sont partis les trois rois qui sont allés adorer Dieu quand Il est né. Dans cette ville sont ensevelis les trois Mages dans un très beau tombeau, et ils sont encore entiers, avec barbe et cheveux : l’un s’appelle Balthazar, l’autre Gaspard et le troisième Melchior. Mon seigneur Marco demanda dans cette ville à plusieurs reprises à propos des 3 rois : nul n’a pas pu lui dire que ce soit, sauf qu’ils étaient 3 rois ensevelis depuis très longtemps.

Après 3 journées de chemin, ils ont trouvé un château appelé Calasata, qu’en français veut dire « château des adorateurs du feu » ; et en vérité les habitants de ce château adorent le feu, et je vous dirai la raison. Les hommes de ce château affirment qu’anciennement, les rois de ces contrées, sont allés adorer un prophète qui était né, et ils ont apporté des cadeaux : de l’or pour savoir s’Il était un roi terrien, de l’encens pour savoir s’Il était un dieu, de la myrrhe pour savoir s’il était éternel. Et quand ils sont arrivés là où Dieu était né, le plus jeune est allé le premier le voir, et il lui a semblé qu’Il avait sa même figure et son même âge ; en suite, le deuxième est allé le voir et après le plus vieux : et chacun a eu l’impression qu’Il avait leur même figure et leur même age. Et quand ils ont écouté l’histoire des uns et des autres, il se sont beaucoup émerveillés, et ils ont décidé d’aller ensemble : et quand ils sont arrivés ensemble, les trois L’ont vu tel qu’Il était en réalité, c’est-à-dire, un enfant de 13 jours.

Ils Lui offrirent alors l’or, l’encens et la myrrhe, et l’enfant prit les trois cadeaux ; et l’enfant leur donna un coffret fermé. Et les rois entreprirent le chemin de retour vers leur province.

Marco Polo, Le Livre des merveilles, 1400-1420, f° 11 vta. BnF Département des manuscrits, Français 2810

Marco Polo, Le Livre des merveilles, 1400-1420, f° 11 v. BnF Département des manuscrits, Français 2810

31

À propos de trois Mages

Quand les trois Mages avaient chevauché plusieurs journées, ils voulurent voir ce que l’enfant leur avait donné. Ils ouvrirent le coffret et trouvèrent à l’intérieur une pierre, que Dieu leur avait donné en symbole de la solidité de la foi qu’ils venaient de commencer. Quand ils ont vu la pierre, ils se sont beaucoup surpris, et la lancèrent dans un puits ; quand la pierre tomba au fond, une colonne de feu descendit du ciel vers le puits. Quand le rois virent cette merveille, ils regrettèrent ce qu’ils avaient fait ; et ils prirent un peu du feu et l’amenèrent dans leur province et le mirent dans leur église. Et ils le gardent allumé et prient au feu comme si c’était Dieu ; et tous les sacrifices sont faits à ce feu, et s’il s’éteigne, ils reviennent à l’original, qui est toujours allumé, et ils n’allument jamais un nouveau s’il ne vient pas de l’original. Pour cette raison, dans cette province, ils adorent le feu; et tout ceci a été référé à mon seigneur Marco Polo et c’est la vérité. L’un fut le roi de Saba, l’autre d’Ava, et l’autre de Calasata.

Marco Polo, Le Livre des merveilles, 1400-1420, f° 12 rto. BnF Département des manuscrits, Français 2810

Marco Polo, Le Livre des merveilles, 1400-1420, f° 12 rto. BnF Département des manuscrits, Français 2810

Chap. 30

De la grande provincia di Persia: de’ 3 Magi

Persia si è una provincia grande e nobole certamente, ma ‘l presente l’ànno guasta li Tartari. In Persi è l[a] città ch’è chiamata Saba, da la quale si partiro li tre re ch’andaro adorare Dio quando nacque. In quella città son soppeliti gli tre Magi in una bella sepoltura, e sonvi ancora tutti interi con barba e co’ capegli: l’uno ebbe nome Beltasar, l’altro Gaspar, lo terzo Melquior. Messer Marco dimandò piú volte in quella cittade di quegli 3 re: niuno gliene seppe dire nullam se non che erano 3 re soppelliti anticamente.

Andando 3 giornate, trovaro uno castello chiamato Calasata, ciò è a dire in francesco ‘castello de li oratori del fuoco’; e è ben vero che quelli del castello adoran lo fuoco, e io vi dirò perché. Gli uomini di quello castello dicono che anticamente tre lo’ re di quella contrada andarono ad adorare un profeta, lo quale era nato, e portarono oferte: oro per sapere s’era signore terreno, incenso per sapere s’era idio, mirra per sapere se era eternale. E quando furo ove Dio era nato, lo menore andò prima a vederlo, e parveli di sua forma e di suo tempo; e poscia ‘l mezzano e poscia il magiore: e a ciascheuno p[er] sé parve di sua forma e di suo tempo. E raportando ciascuno quello ch’avea veduto, molto si maravigliaro, e pensaro d’andare tutti insieme; e andando insieme, a tutti parve quello ch’era, cioè fanciullo di 13 die.

Allora ofersero l’oro, lo ‘ncenso e la mirra, e lo fanciullo prese tutto; e lo fanciullo donò a li tre re uno bossolo chiuso. E li re si misoro per tornare in loro contrada.

31

De li tre Magi

Quando li tre Magi ebbero cavalcato alquante giornate, volloro vedere quello che ‘l fanciullo avea donato loro. Aperso[r]o lo bossolo e quivi trovaro una pietra, la quale gli avea dato Idio in significanza che stessoro fermi ne la fede ch’aveano cominciato, come pietra. Quando videro la pietra, molto si maravigliaro, e gittaro questa pietra entro uno pozzo; gittata la pietra nel pozzo, uno fuoco discese da cielo ardendo, e gittòsi in quello pozzo. Quando li re videro questa meraviglia, pentérsi di ciò ch’aveano fatto; e presero di quello fuoco e portarone in loro contrada e puoserlo in una loro chiesa. E tutte volte lo fanno ardere e orano quello fuoco come dio; e tutti li sacrifici che fanno condisco di quello fuoco, e quando si spegne, vanno a l’orig[i]nale, che sempre sta aceso, né mai non l’accenderebboro se non di quello. Perciò adorano lo fuoco quegli di quella contrada; e tutto questo dissero a messer Marco Polo, e è veritade. L’uno delli re fu di Saba, l’altro de Iava, lo terzo del Castello.

J’a repris la version en toscan de Marco Polo, Milione, editado por Ettore Mazzali. I Grandi Libri Garzanti. Milan: Garzanti, 1982.

Trier et conserver

Françoise Hildesheimer. Les Archives de France. Mémoire de l’Histoire. Paris: Honoré Champion, 1997.

Françoise Hildesheimer est une historienne et archiviste qui a beaucoup étudié l’histoire des Archives nationales de France.  Dans ce hors-série de la revue Histoire et archives, elle fait un résumé de l’histoire des archives françaises. Je me suis intéressé en particulier au chapitre 3, intitulé « Une Révolution ? ». Avec le point d’interrogation on peut s’apercevoir que son approche est critique, car les études révolutionnaires sur les archives sont, pour le moins polémiques.

Si on voulait fixer à une date la naissance des archives nationales révolutionnaires, celle-là serait le 29 juillet 1789. Ce jour, les députés décrètent la mise en place d' »un lieu sûr pour dépôt de toutes les pièces originales relatives aux opérations de l’Assemblée, sous la garde d’Armand-Gaston Camus » (p. 23). Suivent d’autres décrets le 7 août 1790 et le 12 brumaire an II [2 novembre 1793], le premier créant officiellement les Archives nationales, mais ils restent plus au moins lettre morte dans des nombreux aspects, notamment celui de l’organisation (p. 34 et 35).

Arm.d Gaston Camus de l'Acad. des Inscriptions & Belles Lettres : Député de la Ville de Paris. Né le 4 avril 1740. Président de l'Assemblée Nationale le 28 8.bre 1789 : [estampe] / Allais scul.

Arm.d Gaston Camus de l’Acad. des Inscriptions & Belles Lettres : Député de la Ville de Paris. Né le 4 avril 1740. Président de l’Assemblée Nationale le 28 8.bre 1789 : [estampe] / Allais scul. Source


Camus est un personnage très important pour l’histoire des archives. Il a été très actif ; il a participé à la rédaction de la Constitution civile du clergé et à l’abolition des annates. Faute d’un local approprié lors du transfert de l’Assemblée nationale de Versailles à Paris, il reçoit à son domicile la totalité des nouvelles archives, avant qu’elles soient transportées à la bibliothèque des Feuillants et puis au couvent des Capucins. Député du Tiers Etat, puis conventionnel, il a été arrêté par Dumouriez lors de sa mission en Belgique et livré en otage aux autrichiens. Il a fait partie de la Commission des monuments et a resté sur son poste de chef des archives jusqu’à l’Empire (p. 33).

La loi la plus importante, celle qui a donné aux Archives nationales sa forme pendant plus de deux cent ans, est celle du 7 messidor an II [25 juin 1794], intitulée Loi concernant l’organisation des archives établies auprès de la Représentation nationale. On peut dire que cette loi met les archives françaises entre deux temps : celui de l’Ancien Régime, et celui de la Révolution car à la fois innove certains aspects des archives, mais pour d’autres, on le verra, elle donne une continuité.

La  première innovation consiste à centraliser les archives dans un seul dépôt [p. 33]. Jusques là, il existait un grand nombre contenant les documents de chaque ministère, maison royale, etc. Si besoin y en avait, chaque dépendance ou officier ayant la faculté, pouvait se faire expédier des copies des documents. Or, pour réaliser la centralisation des documents, il fallait un tri. Hildesheimer signale que cette loi associe la conservation documentaire centralisée et le tri. C’est ici qui a lieu la contradiction dont nous parlions et sur laquelle on donnera quelques réflexions plus loin.

La deuxième innovation consiste à établir la publicité des archives, abolissant la pratique du secret d’Etat si chère au gouvernement d’Ancien Régime. La substitution de l’Etat d’Ancien Régime par la Nation, met en place la publicité, c’est-à-dire, l’ouverture à tous les citoyens. Elle a, enfin, comme dernière innovation d’importance, la vertu de mettre les bases d’un réseau archivistique à niveau national (p. 35).

Pour mieux expliquer les effets de cette loi, j’ai parlé d’une contradiction dans la conception des archives révolutionnaires. Cette contradiction consiste en l’association entre tri et conservation et qui se traduit de plusieurs manières. D’une part, nous trouvons  l’inertie de la définition de document, héritée de l’Ancien Régime. En effet, il s’agit d’un trait de grande importance, gardé par la loi du 7 messidor (p. 33). Les archives d’Ancien Régime étaient appelées « anciens titres » ou, comme le ferait plus tard Camus lui-même dans un rapport de l’an IX, « sources historiques » (p. 34). Avec cette désignation on voulait mettre en avant l’utilité administrative et immédiate des archives qu’on allait trier. Les documents dont on considérait que l’efficacité administrative aurait été perdue, seraient destinés aux bibliothèques afin de les rendre accessibles aux historiens et aux spécialistes. Ainsi, on doit insister qu’il ne faut pas perdre de vue que l’organisation des Archives, et le tri que l’a suivi, n’a pas été conçu pour la recherche historique dans le même sens qu’on la conçoit aujourd’hui : elle est, avant tout, un projet politique au même temps qu’un projet pratique, dont la pierre principale serait l’accès et l’ouverture à tous les citoyens (p. 36).

Cette conception, en effet, est celle de l’Ancienne Régime qui fait des archives des « titres », grâce auxquels on peut réclamer un droit. On a déjà parlé un peu de cette notion, dans notre résumé sur l’article d’Amédée Outrey, « Sur la notion d’archives, en France, à la fin du XVIIIe siècle ». Autrement dit, la dissociation entre le titre et le droit auquel il donne accès, fait du document d’archive un document historique et, dès ce moment, il doit être renvoyé à une bibliothèque (p. 36).

À cette conception du document corresponde le classement fait par Camus à l’intérieur des archives :

  1. documents relatifs à la formation et à la composition de l’Assemblée et émanés d’elle ;
  2. mémoires et adresses envoyés à l’Assemblée ;
  3. écrits relatifs aux opérations de l’Assemblée ;
  4. lois ;
  5. travaux des comités

Alors, les documents que seront conservés, ceux qui seront triés, seront ceux qui correspondent le mieux à la notion ancienne : un rangement  révolutionnaire pour des titres anciens ; révolution dans la forme et inertie dans le fonds. Mais il faut nuancer cette affirmation, car même si on continue à considérer que le document d’archive et le titre sont des synonymes, les droits qui peuvent être exigés ont peut-être changé, et dans le cas de la Révolution, cela est certainement arrivé: pas tous les titres continuent à l’être.

Le Baron applati par la perte de ses titres et qualités ; M. le Chevalier désolé de la perte de ses archives : [estampe] / [non identifié]

Le Baron applati par la perte de ses titres et qualités ; M. le Chevalier désolé de la perte de ses archives : [estampe] / [non identifié] Source


Le tri des archives ne commence pourtant pas à ce moment là. Dès 1791, une campagne à des motivations idéologiques constitue une des épisodes vandaliques des archives françaises : « on trie davantage pour anéantir que pour conserver », affirme Hildesheimer (p. 35). En suite, le décret du 12 brumaire an II [2 novembre 1792], avait établit la distribution des documents en deux dépôts : les matières domaniale et administrative étaient déposés au Louvre, tandis que la section judiciaire et contentieuse devait être transportée au Palais de Justice (p. 35).

Enfin, la loi du 7 messidor prévoyait la création d’une Agence temporaire des titres, chargée d’anéantir quatre types de documents : les titres féodaux, ceux qui établissaient des jugements contradictoires ; les documents relatifs aux domaines déjà récupérés et ceux concernant des domaines définitivement adjugés. Voilà, nous insistons, l’efficacité administrative comme référence.

Deux systèmes

Grangaud, Isabelle. « Prouver par l’écriture : propriétaires algérois, conquérants français et historiens ottomanistes ». Genèses no 74 (2009): 25‑45. doi:10.3917/gen.074.0005.

"Le coup d'éventail". Le souverain d'Alger donne un coup d'éventail au consul français.

« Le coup d’éventail ». Le souverain d’Alger donne un coup d’éventail au consul français.

Cette lecture n’a rien à voir avec ma thèse. Bon, oui. Il a un intérêt indirect. Comme j’étudie ce que nous appelons aujourd’hui le « patrimoine artistique » au temps de la Révolution Française, je croise souvent la notion de « monument ». Et comme je suis juriste (repenti) de formation, il m’arrive parfois d’avoir des vieux réflexes, et de ma poser de questions tirées du droit.

Pour préparer ma participation au séminaire que j’anime  avec d’autres collègues de l’EHESS, j’ai lu le dossier de la revue Genèses intitule « Faire la Preuve » paru en 2009. Mon intervention s’intitulera « Documents, preuves et patrimoine » et aura lieu en mai prochain. C’est Isabelle Bakouche, chercheuse du Centre des recherches historiques, qui m’a signalé l’existence de ce dossier.

Dans son article, Isabelle Grangaud se penche sur un cas particulier : celui de la propriété privée en Alger, au lendemain de l’occupation française commencée en juillet 1830. Au moment de mettre en place l’administration, l’autorité française a dû faire face au problème du cadastre de la propriété privée et la désignation du domaine public.

Les efforts pour désigner ces deux propriétés se sont dirigés à palier le manque d’un cadastre et à spécifier une propriété publique. Tout d’abord, l’autorité a appelé les propriétaires à exhiber leurs titres de propriété. Mais, hélas, les documents exhibés n’avaient forcément de valeur probatoire d’après le système juridique français, car la propriété en Alger était articulée sur « la prééminence du témoignage ».

Nous sommes face à un cas ou deux systèmes juridiques sont confrontés, car l’envahisseur est obligé par le droit des gens à respecter la propriété privée. Dans d’autres mots, il s’agit de « l’affrontement de conceptions (tant juridiques que politiques) et de pratiques concurrentes qui n’opposent pas seulement conquérants et conquis » (p. 29), mais aussi deux manières de prouver.

Il faudra, en conséquence, trouver des correspondances entre catégories d’origine différent ou, à la limite, de réinterprétations du droit local à partir du système juridique français. On pourrait dire que le vainqueur a deux possibilités : soit ne faire aucun cas à l’existence de la propriété privée, soit la respecter. La première option, quoique possible, est une violation au droit des gens, avec toutes ses conséquences juridiques, politiques, diplomatiques, etc.

La deuxième doit passer par la reconnaissance de l’existence d’un système local pour constater « l’existence d’une propriété privée ». Dans le cas étudié par Grangaud, une fois reconnue l’existence de la propriété privée, deux problèmes surgissent : d’un côté, l’identification de la propriété privée, et de l’autre, la détermination de l’étendue du domaine public.

Léon Morel-Fatio, "Attaque d'Alger par mer, 3 juillet 1830"

Léon Morel-Fatio, « Attaque d’Alger par mer, 3 juillet 1830 »

Or, il n’existe pas de correspondance formelle entre la propriété privée d’après le Code Civil, et celle des traités juridiques musulmanes. Pour déterminer la propriété des immeubles – et, en conséquence, pour délimiter l’étendue du domaine public – dans le droit français on compte sur la formule personnes, propriété, obligations. En droit musulman les immeubles sont grevés de « substitutions habous » (p. 30), « c’est-à-dire des immeubles dont le propriétaire transmet l’usufruit à ses enfants, à ses parents ou à des étrangers, en affectant en même temps l’immeuble à une disposition finale ».

La propriété publique n’est pas identifiable facilement, car la propriété des immeubles, que n’appartiennent qu’à Dieu, n’est pas transmise, mais l’usufruit de l’immeuble peut être grevé de telle sorte qu’il soit reçu par d’autres personnes. Ainsi, l’autorité française se trouve dans une situation paradoxale : pour fonder sa prétention à établir le domaine public, elle aura à se fonder sur les usages de l’immeuble.

D’un autre côté, les preuves de propriété exigées aux habitants d’Alger ne sont non plus compatibles. Il n’y avait nécessairement un lien entre titre et propriété, car la propriété s’établissait par le témoignage. Le fait même que l’autorité française appelle à « vérifier » les titres, équivaut à une remis en cause de deux manières : et par l’appropriation du bien, et par la véracité du titre, ce que la population civile n’était pas disposée à endurer.

Les propriétaires algérois ont eu beaucoup du mal à produire des « titres de propriété ». C’est pour cela qu’ils sont  produit plutôt des « actes de notoriété », c’est-à-dire des constats de témoignages qui les désignaient comme les propriétaires légitimes. (p. 36). Ces écrits devaient être soumis à des constats divers : le cadi qui le produisait devait être connu et sa calligraphie devait être reconnaissable. C’est ainsi que ces documents ont été soumis à un « processus de reconnaissance sociale juridiquement attesté ».

Finalement, l’ordonnance de 1844 a mis fin à la preuve par des titres produits en Algérie. Désormais, la propriété se démontrait exclusivement par des titres selon le droit français.

Pour conclure, ce qui m’intéresse de l’article est la confrontation de deux systèmes juridiques, en particulier les deux conceptions de preuve. Face à l’évidence, la nouvelle administration française ne pouvait simplement mettre en place un nouveau système. Il fallait s’adapter. J’ignore jusqu’où les français ont dû et accepté à s’adapter, mais l’idée me semble fascinant. Il me rappelle des cas aux Etats-Unis et en Australie, où les juges ont dû reconnaître l’existence d’un système juridique chez les indigènes.

Pour savoir les détails sur les images que j’ai mis, il est toujours utile de faire recours à la Wikipédia