Yann Potin. « Le roi trésorier. Identité, légitimité et fonction des trésors du roi (France, XIIIe-XIVe siècle) ». In Le trésor au Moyen Âge. Questions et perspectives de recherche. Der Schatz im Mittelalter. Fragestellungen und Forschungsperspektiven, 89‑117. L’Atelier de Thesis 1. Neufchâtel: Institut d’Histoire de l’art et de Muséologie, 2005.
L’article final de cette petite collection d’essais autour du trésor est de Yann Potin, archiviste et chartiste. Cet article est très riche en réflexions et références, même si parfois un peu répétitif dans le style.
Les origines du trésor se trouvent, peut-être, dans l’Antiquité classique, dans le modèle de la Cité et du Temple repris, reformulé et conditionné par le christianisme, de telle sorte qu’il est commun, peut-être trop facilement, d’analyser son histoire à travers « la sécularisation des biens et des valeurs » (p. 95).
Peinture murale de la Sainte-Chapelle où sont représentés un roi et une reine agenouillés au pied d’un Christ en croix. Dessin. Source: Gallica
Potin signale que l’historiographie spécialisée distingue entre le trésor du Haut et du Bas Moyen Âge. Pendant le Haut Moyen Âge, le trésor est généralement associé aux chroniques chevaleresques, aux butins de guerre et au pillage. Il semble que le trésor soit réduit à une figure de style, rhétorique ou littéraire. Depuis l’époque carolingienne, le trésor, comme l’art, subit une « conversion ». Avec ce terme, Potin signale le procès de soumission à la religion des objets thésaurisés. La conversion des objets « scelle […] l’alliance et la soumission du pouvoir royal à l’institution ecclésiale ».
C’est le moment du développent des interprétations sur la valeur spirituelle des choses, des correspondances entre matières précieuses et vertus chrétiennes. Les « lapidaires » expliquent les relations entre pierres précieuses et les souverains. Le traité de Marbode, écrit au XIIe siècle, est le plus connu et dans le bestiaire connu sous le titre Physiologus, sont aussi évoquées des correspondances entre pierres précieuses et la monarchie. La description idéale de la royauté par le Prêtre Jean est une allégorie qui met en place les correspondances entre pierres précieuses et monarchie (p. 103).
Le Tresor royal futur : c’est ainsi qu’a sa cour, Louis verra sans peine de la main de Necker ce brillant phenomène car on ne vit jamais, pas meme en l’age d’or les trois corps reunis verser dans ce tresor, Estampe. Source: Gallica
À partir du XIIe siècle, les documents à propos des trésors se multiplient et se dispersent. Cependant, les études déjà classiques d’Henri Pirenne et de Georges Duby, ont montré combien le trésor est aussi, à cette époque, le produit de la fiscalité royale et d’une structure mentale suivant une « anthropologie politique » employant des signes et des symboles. Cette dispersion se voit aussi dans la compréhension du concept de trésor. Vers la fin du XIIIe siècle, le concept de trésor fait déjà part de différentes réalités du royaume : artistique, financier, littéraire, théologique… etc. (p. 100).
En plus de l’aspect historique, il faut analyser le niveau épistémologique de la notion de trésor. Potin affirme qu’elle est « recouverte » par de multiples notions différentes : il faut donc faire recours à d’autres notions telles que ‘collection’, ‘capital’, ‘fonds’, ‘réserve’, etc. Ces notions nous laissent observer que l’histoire du trésor a un aspect social qu’on peut pas négliger et qui a, selon Potin, quatre caractéristiques (p. 96) :
- Le trésor exprime certains valeurs considérés inestimables et précieuses grâce à sa dimension « rhétorique et imaginaire ».
- Le trésor signale le lieu où se trouvent les biens inestimables et précieux. Il est donc, « un référent topographique ».
- Le trésor est une « institution légitime » qui emploi du personnel spécialisé pour sa conservation à cause de l’espace physique et idéal qu’il occupe. Il est aussi à l’origine d’autres fonctions, notamment monétaires, fiscales, patrimoniales et politiques.
- Le trésor est un « agent économique ». C’est-à-dire qu’il est le point de rencontre d’un système d’échanges des biens.
Aujourd’hui, dans l’imaginaire collectif, le trésor français est identifié avec celui gardé à l’abbaye de Saint-Denis. Cela est dû à la quantité d’objets gardés (quatre-vingts pièces) dont les regalia et à une exposition organisée en 1991. Or, le trésor gardé à la Sainte-Chapelle de Paris est lui aussi lié à l’histoire de la monarchie française et il est, pour certains, encore plus important (p. 90).
Le trésor de la Sainte-Chapelle a été réuni à celui de Saint-Denis en 1791. Cette fusion était envisagée depuis 1787, suite à un arrêt du Conseil d’Etat supprimant les Saintes-Chapelles du royaume. Ainsi, lors de la nationalisation de 1789, les saintes chapelles n’avaient plus de statut juridique. À différence de l’abbaye de Saint-Denis et de Notre-Dame, la Sainte-Chapelle n’est pas une propriété ecclésiale : il s’agit d’une fondation royale donc privée. Dès le XIIe siècle, elle est placée sous juridiction de la Chambre des comptes. Louis XVI le considère toujours propriété de famille face aux nationalisations révolutionnaires (p. 92). Le trésor de celle à Paris été formé en premier lieu par l’acquisition des reliques de la Passion du Christ, achetées par Louis IX auprès de l’empereur de Constantinople en 1238 (p. 90).
En effet, Louis IX inaugure une nouvelle pratique vis-à-vis des trésors : il est le premier monarque à établir un trésor sacré au sein du pouvoir royal, tout en établissant une hiérarchie entre le sanctuaire de Saint-Denis et de la Sainte-Chapelle. Enfin, il établit un mode de transmission dont le profit ne bénéficie pas exclusivement au légataire que dans la mesure où le trésor est mis au service d’une collectivité, de la même manière qu’un fidéicommis. Ainsi, dans son testament rédigé en 1270, Louis IX ordonne que les reliques de la Passion formant le trésor royal reviennent à son successeur « ad honorem Dei et utilitatem regi » (p. 102).
Peinture murale de la Sainte-Chapelle, sur laquelle sont peints trois personnages. L’un d’eux, à genoux, présente à un dignitaire ecclésiastique un diptique représentant Jésus-Christ et la Vierge. L’autre personnage assis porte un manteau bleu à pèlerine avec fourrure blanche. Dessin. Source: Gallica
Potin identifie deux sortes de « thésaurisation » : une « externe » ou « par procuration », « qui vise une conversion des valeurs matérielles en offrandes et intercessions spirituelles » ; et une « interne », qui n’est pas tout à fait clairement expliquée. A propos de la thésaurisation interne, Potin donne une série d’exemples d’objets à usage religieux et à usage du roi, mais qui sont associés au mobilier ordinaire et au mobilier d’apparat.
La thésaurisation est, en tout cas, une ‘forme singulière’ d’accumulation, qui suppose l’échange entre le monde spirituel et le monde matériel. Dans ce sens il s’insère bien dans le modèle proposé par K. Pomian dans ses études sur le collectionnisme. Sa singularité vient du fait que la thésaurisation suppose l’échange entre le monde spirituel et le monde matériel. Or, le fait que ce soit un échange entre les deux mondes brouille l’appartenance des biens : la propriété et les usages du trésor apparaissent dès lors difficiles à déterminer ou à définir (p. 95). Ce que nous voulons signaler avec Potin est le fait que dans la documentation comptable à partir du XIVe siècle — très complète pour les années 1380-1424 –, ces ensembles de biens sont isolés sous la dénomination « joyaux et vaisselle du roi », surtout à partir de la fondation de la Sainte-Chapelle. C’est cette singularisation au milieu de l’univers patrimonial qui défine sa particularité (p. 92).
La place du trésor est celle du reflet de la personne et de la puissance royale. La possession des reliques de la Passion permet au roi de monopoliser la thésaurisation séculière. Condamnée par les clercs, seul le roi peut justifier d’une thésaurisation et de s’entourer des pierres et matières précieuses afin de donner une image réelle à sa puissance (p. 102). Le trésor est « une projection du corps du roi sur le monde matériel ». Le trésor est en même temps attribut de la personne et de la puissance royale : « Il forme une assise de la majesté princière, en réalisant un prolongement et une projection du corps du roi sur le monde matériel » (p. 94). Potin affirme que le privilège royal sur les matières précieuses et les inventions des trésors auraient leur origine dans le modèle princier exposé dans la lettre du Prêtre Jean, qui circulait depuis le XIIIe siècle. À partir de cette époque, la construction des modèles de contrôle fiscal cherche à reproduire les privilèges que le roi avait sur les reliques et, en particulier, sur celles de la Passion (p. 104-105).
L’ensemble thésaurisé n’est pas fixe, une grande circulation a lieu dans son sein. Le trésor du roi est aussi une réserve de métal et d’objets précieux à offrir. La distinction entre domaine de la Couronne et domaine du roi s’est établie au cours du XIVe siècle. Cette distinction a pour fonction de distinguer entre biens inaliénables et aliénables (p. 108). L’établissement du domaine de la Couronne laisse la possibilité d’un domaine du prince. Mais, comme Potin l’observe, le fait que dans ce dernier n’existe pas une construction normative précise, fait penser que ces biens y sont placés temporairement ou par défaut. Le domaine de la Couronne tend à absorber celui du prince. Cela est évident lors des successions princières (p. 109). Le trésor dont les différents rois profitaient l’existence, est devenu un patrimoine dynastique, jusqu’à ce qu’en 1532, François Ier fait distinguer une part inaliénable (p. 92-93).
Il y a, aussi, le problème de l’inaliénabilité. La notion d’inaliénabilité s’est formée « en négatif » au cours du XIVe siècle, c’est-à-dire, à partir de révocations de dons. Ces dons — et révocations — concernaient des biens du domaine de la Couronne, mais aussi du domaine du prince. Cela s’explique par le fait que la Chambre des comptes réussit à imposer le principe de rétroactivité domaniale et d’intégration à la Couronne. Potin souligne, d’un côté, que les révocations ne sont pas nombreuses, et de l’autre, qu’elles obéissent à des besoins ponctuels : seules sont révoquées les donations « mauvaises », liées à l’opportunité politique ou au moment économique (p. 110).
Arrêt du conseil d’Etat qui adapte aux reconnaissances délivrées au trésor royal et qui n’ont point été échangées avec des billets de l’emprunt ordonné par arrêt du conseil du 4 oct. 1783, les billets restant à délivrer au trésor royal, du nombre de 60 000, composant ledit emprunt Source: Gallica
Les études sur les trésors royaux ont donné lieu à deux sortes de travaux : un premier type de travaux sur l’histoire des arts précieux et un deuxième sur l’histoire financière de l’État. À la fin du XIXe siècle, plusieurs éditions d’inventaires ont été publiées, afin de mettre en place un corpus documentaire sur les objets conservés dans des musées. Cette littérature emploie une méthode comparative entre description archéologique et analyse du vocabulaire des rédacteurs des inventaires.
Le deuxième type de travaux s’est développé à partir des années 1870. Ces travaux se sont concentrés en une histoire institutionnelle et financière de l’État. Les historiens se sont alors concentrés en l’édition de « la constitution, la fonction et le contrôle des dépôts ». Les études sur les joyaux et les trésors d’églises restent, cependant, assez incomplètes, ainsi que celles sur le statut juridique du mobilier royal en France, à cause de l’incendie des archives de la Chambre des comptes en 1737.
Enterrement de très haut, très puissant et magnifique seigneur Clergé : décédé en la salle de l’Assemblée nationale, le jour des morts 1789. Son corps sera porté au trésor royal, en caisse nationale, par MM. de Mirabeau, Chapelier Thourt [i.e. Thouret] et Alexandre de Lameth. Il passera devant la Bourse et la Caisse d’escompte qui lui jetteront de l’eau bénite, M.M. l’Abbé Syes [sic] et Maury, suivront le deuil en grandes pleureuses… : [estampe] / [non identifié] Source: Gallica
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