Belle propagande II/II

Susan Sontag (essai d’introduction). « Posters: advertisement, art, political artifact, commodity ». In The Art of Revolution. 96 Posters from Cuba, vii‑xxiii. Londres: Pall Mall Press, 1970.

L’essaie de Susan Sontag commence avec un esquisse sur l’histoire de l’affiche. Pour ceux comme moi, que ne sont pas des spécialistes, cette partie de l’essaie est particulièrement riche, car on y trouve quelques pistes bibliographiques et des noms des premiers affichistes européens et américains.

Pour commencer, Sontag fait la distinction entre « affiche » (poster) et « avis au public » (public notice). Cette dernière a pour objectif « informer ou commander ». L’affiche, par contre, « cherche à séduire, exhorter, vendre, éduquer, convaincre, attirer ». On peut dire qu’en tant que l’avis au public requiert une sorte de ‘lecteur’, il est passif : c’est justement le lecteur qui la rend efficace (ou pas). Par contre, l’affiche, elle, est « visuellement agressive », elle cherche non un lecteur mais un spectateur. Elle attire l’attention depuis loin. Elle cherche à s’imposer par la séduction (p. vii).

Lorenz Quagli, Aloys Senefelder, Portrait, Lithographie, 1818

Lorenz Quagli, Aloys Senefelder, Portrait, Lithographie, 1818

Les affiches, à proprement parler, ont du attendre l’imprimerie pour avoir une divulgation. Et encore, l’imprimerie n’est vraiment pas à l’origine de sa distribution massive, car trop chère. C’est l’invention de la technique de lithographie par l’allemand Aloys Senefelder vers 1796, qu’elle a pu être divulguée de manière massive et imprimée en couleurs. Sontag rappelle Walter Benjamin (p. ix) et souligne que l’affiche est propre à « l’ère de la reproduction mécanique », elle n’est pas destinée à être un objet unique. Donc, la répétition est essentielle dans la technique de production de l’affiche. Mais il faut pas perdre de vue que la répétition apparaît à deux niveaux : à niveau technique, grâce à la lithographie qui permet obtenir des centaines, des milliers de copies ; à niveau créatif, car l’affichiste usuellement fait recours au plagiat : « plagiarism is one main feature of the history of poster aesthetics » (p. ix). L’artiste recours à des créations plus anciennes que lui et les replace, les decontextualise, les manipule.

Cette « agressivité » de l’affiche s’explique de plusieurs manières. Sontag souligne le fait que les affiches sont, par nature, en compétition les unes avec les autres. À différence des avis au public, les affiches doivent se rendre plus attractives pour mériter l’attention, tandis que les avis non, puisqu’ils sont une manifestation de l’autorité, elle même ayant déjà sa propre force et manière de se faire obéir.

Ces éléments sont proches de la définition d’affiche donnée par Harold F. Hutchison :

A poster is essentially a large announcement, usually with a pictorial element, usually printed on paper and usually displayed on a wall or billboard to the general public. Its purpose is to draw attention to whatever an advertiser is trying to promote and to impress some message on the passer-by. The visual or pictorial element provides the initial attraction-and it must be striking enough to catch the eye of the passer-by and to overcome the counter-attractions of the other posters, and it usually needs a supplementary verbal message which follows up and amplifies the pictorial theme. The large size of most posters enables this verbal message to be read clearly at a distance.

Une affiche est essentiellement un annonce, souvent accompagné d’un élément graphique, fréquemment imprimé en papier et souvent accroché à un mur ou panneau, pour un public général. Son but est d’attirer l’attention sur tout produit annoncé et d’imprimer un message sur le passant. L’élément visuel ou graphique permet une attraction initiale et il doit être suffisamment surprenant pour attraper le regard du passant et pour surpasser les contre – attractions d’autres affiches, et fréquemment elle a besoin d’un message verbal supplémentaire que continue ou amplifie le thème graphique. Les grandes dimensions de l’affiche permet la lecture aisée du message verbal à la distance (p. viii°.

Très vite est reconnu le caractère artistique de l’affiche grâce à la participation d’artistes réputés dans sa création comme Toulouse-Lautrec. Certes, l’affiche est mécanique, mais il partage une ambiguïté avec d’autres productions artistiques : « la tension entre le désir d’exprimer (explicité, littéralité), et le désir de rester silencieux (truncation, économie, condensation, puissance évocative, exagération) (p. x). Or, l’affiche tient comme une de ses caractéristiques les plus spéciales son rapport avec l’espace public. L’affiche, originellement, implique l’usage l’appropriation de cet espace par les citoyens. Elle est devenue, à peine dans les quelques deux cents ans de son existence, un élément intégral du paysage urbain (p. vii).

Dans ce sens, Sontag affirme que l’affiche est un de produits typiques du capitalisme (p. viii). Expression de la société de consommation, l’affiche annonce des biens luxueux (ou de surplus), mais elle devient aussi une des outils de participation politique des nouveaux acteurs sociaux du siècle.

Le même outil sert donc à confronter l’aspect économique et l’aspect politique de l’espace publique. Si les affiches commerciales sont l’expression d’une société stable et prospère, les affiches politiques sont le reflet d’une crise (p. xi). Les unes rassemblent les gens autour d’un objet ; les autres autour d’une action. Les unes attirent l’attention à travers des images de femmes et des hommes attirantes, sensuels, érotiques ; les autres à travers des héros prêts à se sacrifier ; les unes tentent, les autres obligent.

Alphonse Mucha, Biscuits Lefèvre-Utile, 1897

Alphonse Mucha, Biscuits Lefèvre-Utile, 1897

Tout au long du XIXᵉ siècle et le début du XXᵉ, l’affiche politique reste marginale. C’est seulement dans les moments de guerre que sa présence est plus marquée. La guerre de 1914 marque une intensification en la production de la part des gouvernements qui faisaient appel au patriotisme et à la participation dans les efforts de guerre (p. xi). Mais ce sont surtout les mouvements de gauche qui lui donnent un nouvel élan : les révolutions en Russie et en Europe de l’Est, d’abord, puis les mouvements de contestation des années soixante sont à l’origine des véritables écoles d’affichistes.

Susan Sontag rappelle les travaux à Berlin du « November Group » avec des affichistes tels que Max Pechstein ou Hans Richter ; le groupe moscovite ROSTA, avec le poète Maykovsky ou les artistes Lissitzky et Rodtjenko et, bien sûr, celles produites par les étudiants de l’Ecole des Beaux Arts de Paris pendant mai 1968. Par contre, en Amérique Latine, sauf quelques exceptions que Sontag localise au Mexique, au Brésil et en Argentine, il n’y a presque pas des « traditions nationales » d’affichistes.

Max Pechstein, Bathers with Child, 1920, serygraphie

Max Pechstein, Bathers with Child, 1920, serygraphieitog

Le cas cubain serait vraiment à part. Contraints par des limitations matérielles et idéologiques, les artistes cubains ont développé un style minimaliste et directe. Des noms comme Azcuy, Eduardo Bachs, Félix Beltran, Raúl Martínez, Umberto Peña, Tony Reboiro o Alfredo Rostgaard sont familiers aux créateurs de ce pays. Depuis les années 60, pratiquement toute la production d’affiches a été réalisée sous la direction de quatre organismes : l’Instituto Cubano de Arte e Industria Cinematográfico (ICAIC, Institut cubain des arts et de l’industrie du cinéma), l’Organización para la Solidaridad con los Pueblos de África, Asia y América Latina (OSPAAAL, Organisation pour la Solidarité avec les peuples de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique Latine), la Comisión de Orientación Revolucionaria (COR, Commission d’Orientation Révolutionnaire) et la Casa de las Américas (Maison des Amériques). Chacun de ces institutions ont réalisé des affiches dans leur propre thématique.

Alfredo Rostgaard, Cristo Guerrillero (Hommage à Camilo Torres)

Alfredo Rostgaard, Cristo Guerrillero (Hommage à Camilo Torres)

Un commentaire sur “Belle propagande II/II

  1. radinito dit :

    A reblogué ceci sur Se destetó Teté and commented:

    Ma dosse journalière…

Vous voulez vous plaindre de mon français ? C'est par ici que ça se passe...