La richesse du peuple élu

Giacomo Todeschini. « Trésor admis et trésor interdit dans le discours économique des théologiens (XIe-XIIIe siècles) ». In Le trésor au Moyen Âge. Discours, pratiques et objets, 33‑50. Micrologus’ Library 32. Florence: Sismel, Edizioni del Galluzzo, 2010.

Jérusalem Céleste, selon P. Cosma Rosello, Venise : A. Paduan, 1579. Source: BiU Santé

À la suite de leur première collection d’essaies, dont nous avons parlé ici, Burkart, Cordez, Mariaux et Potin ont publié une deuxième collection, beaucoup plus importante et détaillée. Celle-ci couvre d’autres aspects que, dans la première collection, avaient été laissés de côté ou qui n’avaient pas été suffisamment approfondis. C’est le cas de cet essai par Giacomo Todeschini.

Todeschini est un spécialiste en histoire économique des ordres religieux et de l’Église. En 2004, il avait publié Richezza Francescana. Dalla povertà volontaria alla società di mercato (Bologne, Il Mulino, 216 pp.) qui est une étude d’histoire économique autour des franciscains. Son approche ici nous permet de voir les liens entre l’économie, la religion et certains aspects de l’histoire médiévale, tel l’antisémitisme, qui provient non seulement à partir d’un métier propre aux juifs, mais aussi dans un discours qui reliait salut de l’âme et économie.

Tout commence entre le XIe et le XIIIe siècle, quand apparaît la tendance, dans les sources théologiques européennes, à métaphoriser le salut de l’âme et l’ordre de la societas Christiana en des termes économiques. Ainsi, la richesse est la marque de l’appartenance aux élus ou à défaut, de la condamnation. Cependant, il faut bien que cette richesse ne soit pas simplement accumulée, il faut qu’elle soit mise au service de la communauté (p. 33). On développe alors l’idée d’une « agrégation sociale fidèle entendue comme trésor productif » (p. 38), à partir de laquelle, non seulement les trésors d’Église sont considérés comme des unités indissolubles et inaliénables, mais la chrétienté tout entière (p. 38).

Ambroise de Milan utilise l’image de l’eau qui coule, qui aide à la production agricole, et de l’eau étanche, qui est fétide. Augustin de Hippone, aussi, s’en sert des métaphores économiques et lui, il parle du peuple de Dieu comme d’une « monnaie vivante ». Plus tard, les disciples de Jérôme utiliseront le terme « monnaies précieuses » (nummorum acervus) pour faire référence aux chrétiens et, en conséquence, aux fidèles (p. 33-34). Enfin, deux textes capitaux de la réforme grégorienne offrent des images pour décrire la société chrétienne : les épitres de Pierre Damien et l’Adversus simoniacos d’Humbert de Silvacandida. Dans ces textes, on trouve l’image d’une société apostolique qui est, elle-même, un trésor qu’il ne faut pas disperser, opposée à une thésaurisation inutile, qui est le propre des clergés et des laïques simoniaques (p. 36).

Les métaphores économiques offrent, donc, deux possibilités aux fidèles : soit participer à une économie du salut, dans laquelle le mouvement de richesses fait partie du patrimoine des fidèles et apparaît comme le chemin du salut ; soit comme les possesseurs d’un trésor inutile et dévalue. Dans ce dernier cas, on utilisait la figure des monnaies sans character c’est-à-dire, des monnaies sans la marque de la frappe (p. 35). C’est, en fait, un autre aspect de l’économie des grâces dont on avait parlé avec B. Roux. Thomas d’Aquin parle, par exemple, d’un ensemble du thesaurus ecclesiarum, qui donne lieu aux facultates ecclesiarum, dont le pouvoir de distribuer des sommes des grâces, ce « capital immatériel organisé par le sacrifice du Christ et par les mérites des saints » (p. 39).

S. Ambrosius

Une des Épitres de Saint Ambroise, 1201-1220, Manuscrit de la BnF. Latin, 1755. Source : BnF

Le résultat c’est la création d’« une image capable de concrétiser l’identification entre le sujet collectif “peuple chrétien” (populus ou societas christianorum) et la réalité institutionnelle ecclésiastique ou ecclésiale issue de la réforme grégorienne ». Mais aussi, l’identification du peuple chrétien avec le trésor lui-même, ce qui généralise l’exclusion vis-à-vis de ceux qui ne se convertissent pas.

Bibliographie

  • AMBROISE DE MILAN, De Helia, De Nabuthae, De tobia, éd. G. Banterle dans Opere, vol. VI, Milan, Rome, 1985
  • AUGUSTINUS, Sermo IX 9, éd. C. Lambot, Turnhout, 1961, CCSL, 41, 125-126
  • BOGAERT, R.? « Changeurs t banquiers chez les Pères de l’Eglise », Ancient Society, 4, 1973, p. 239-270
  • CAPITANI, O., Tradizione ed interpretazione: dialettiche ecclesiologiche del sec. XI, Rome, 1990 (sur la réforme grégorienne)
  • DAMIEN, Pierre, Die Briefe des Petrus Damiani, K. Reindel (éd.), Munich, 1989
  • POQUE, S., Le langage symbolique dans la prédication d’Augustin d’Hippone, Paris, 1984
  • SILVACANDIDA, Humbert de, Adversus simoniacos, F. Thaner (éd.), Hannover, 1891, MGH, Libelli de lite imperatorum et pontificum, I, 95-25

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